Genre mineur d'un genre mineur, les mangas ont longtemps été méprisés. Pourtant, ils présentent finement sous un mode dramatisé les difficultés d'évolution ou des impasses psychopathologiques que chacun est à même de rencontrer

Voici Gaara, un des héros du manga Naruto. Il y fait une entrée remarquée : démarche lente, économie des gestes, une immense jarre attachée dans le dos, des grands yeux cernés de noir. C'est un de ces adolescents dont on sent immédiatement la dangerosité. D'ailleurs, il le dit lui même : il ne vit que pour tuer. Et il ne combat que pour lui. Les autres sont pour lui au mieux des futures victimes. Généralement, il n'éprouve pour le monde qu'indifférence. Il a pour lui arme redoutable. De sa jarre s'échappe du salble qui peut prendre toute les formes pour attaquer ses ennemis ou pour le protéger.

Gaara ne doit son existance qu' a l'ambition de son père qui en fait le porteur du démon sable. Sa naissance est pour sa mère une terrible épreuve. Avant de mourir, elle maudit le père de l'enfant et et donne à Gaara le conseil suivant : "n'aime que toi, ne te bats que pour toi". Craint pour le démon qu'il abrite, Gaara vit dans l'isolement. Son père prend peu à peu conscience de la menace qu'il fait planer sur le village et donne l'ordre de l'assassiner. Le groupe de tueurs comprend son oncle Yashmaru qui est le seul être humain ayant eu un peu d'empathie pour l'enfant son. Tous sont massacrés par Gaara qui, à partir de ce jour, applique à la lettre le voeu maternel. Il est alors élevé par sa tante materelle qui lui témoigne quelque affection. Elle aussi sera envoyée par le père de Gaara pour le tuer. Et elle aussi échouera. Mais avant de mourir, elle dit à Gaara toute la haine qu'elle éprouve pour lui, et laisse planer l'idée que sa mère le haïssait également. Gaara, de ce jour, ne se reconnaît aucun lien et aucun autre but que de tuer.

Après un combat homérique contre Naruto, Gaara changera et deviendra un des gardiens de son village natal.

On reconnaît là assez facilement une variante du mythe oedipien : un enfant exposé par son père lui survit et finit par se retourner contre lui ou ses représentants. Mais Gaara va bien plus loin qu'Oedipe car il met en scène des angoisses très prodondes :angoisse de chute sans fin, de liquéfaction, d'engloutissement, d'anéantissement, angoisse de ne plus être humain, de perdre des liens primordiaux, angoisse de ne pouvoir être touché par aucun sentiment ou idée, angoisse d'être enfermé dans sa propre personne.

Ces angoisses ne se retrouvent pas uniquement dans des des états très dégradés de la personnalité. On les rencontre également dans un état aussi banal que l'adolescence. Car, qu'est ce qu'être adolescent si ce n'est être soumis à l'exigence de changer tout en restant soi, de voir se modifier son corps, d'acquérir un nouveau pouvoir - celui de la procréation - qui change totalement ce que "aimer" veut dire ? Gaara illustre bien la situation d'un adolescent qui arrive a sortir des solutions défensives mutilante qu'il s'est construit du fait d'une succession de traumatismes. Ils sont ici réels mais ils pourraient tout aussi bien être imaginaires. C'est sans doute pour cela qu'il est un des personnages les plus apprécié de la série

Les jeux vidéos auraient ils des vertus thérapeutiques ?

En France, François Lespinasse et José Perez , à l'hôpital de jour La pomme Bleue à Bordeaux, ont sans doute été les tous premiers a proposer un jeu vidéo dans un cadre thérapeutique. Michael Stora, a la CMP de Pantin, a également proposé a des enfants ce type de dispositif. On lui doit la popularisation de l'utilisation des jeux vidéos dans une psychothérapie. D'autres psychologues travaillent la matière numérique depuis plusieurs années, dans le cadre de psychothérapies individuelles ou en groupe.

Si la chose est mal connue, c'est sans doute que l'utilisation des jeux vidéos dans le cadre de psychothérapies psychanalytiques d'enfant a posé et pose quelques difficultés

- la première difficulté est très banale. Elle vient du conservatisme des psychothérapeutes qui, comme tout le monde, sont angoissés par les changements qu'apporte la nouveauté

- la seconde difficulté vient du cadre de travail. Le travail d'un psychanalyste est de repérer les fantasmes, conflits et angoisses inconscients de son patient au travers de ce qui est verbalisé et actualisé. Avec les enfants, le dispositif a été un peu modifié et, depuis Melanie Klein, on leur propose de dire en parole, mais aussi en dessin, en modelage, en jeux, tout ce qui leur passe par la tête.  Les objets du bureau du thérapeute sont choisis de façon a ce que leur dégradation ne pose pas de difficulté ce qui permet a l'enfant d'aller aussi loin que possible dans l'expression de sa dynamique inconsciente. L'introduction d'un objet aussi précieux qu'un PC ou qu'une console et un téléviseur change la donne, puisque le thérapeute devra intervenir si l'enfant les attaque

- enfin, la dernière difficulté vient de notre méconnaissance des processus engagés dans l'activité <jeu vidéo>. Nous connaissons mieux ce qui se passe lors du dessin ou du modelage, parce que nous avons une meilleure connaissance de la sensorialité de ces objets. En ce qui concerne la sensorialité des mondes calculés par un processeur, notre ignorance est encore presque totale.

Ces difficultés vont être levées peu a peu. Elles seront levées parce que les thérapeutes digiborigènes seront de plus en plus nombreux, et que la connaissance de la matière numérique avancera au fil des thérapies

 

Mais cela veut il dire que les jeux vidéos sont thérapeutiques ? Que l'on peut se soigner en jouant ? Clairement non.  Jouer, que ce soit a un jeu vidéo ou a la marelle, peut calmer un moment l'anxiété ou l'angoisse. Cela ne la soignera pas.Les seuls objets. Ce qui est thérapeutique, c'est de parler à un autre humain de ce que l'on éprouve ou de ce que l'on a éprouvé et que cet autre humain vous écoute sans vous juger.

Le site Note2be avait soulevé des inquiétudes quant aux utilisations diffamantes qui pouvaient en être faites. Aussi me parait il intéressant de rapporter ici un état des pratiques outre-atlantique en évoquant le cas de JuicyCampus.

JuicyCampus est d'abord une caverne à troll*.On trouve dès la première page un message faussement ingénu sur Hitler ou Trop de noirs/mexicains ? qui bien évidement fait le plein de réponses. Ce qui fait de JuicyCampus un site particulier, c'est que les trolls y sont encouragés. Dans les règles d'utilisation, il est précisé que le site n'ouvrira pas ses base de données si une personne ou un tiers se plaint de ce qui est écrit sur le site. Afin de se protéger, JuicyCampus garde les adresses IP des posteurs, mais ne les lie pas aux messages. Utime protection : les messages ne seraient pas indexés par les moteurs de recherche. Pour les trouver, il faut donc aller sur le site. Enfin, le site encourage les posteurs à utiliser des anonymiseurs.

En plus des ragots et autres réglements de compte entre les étudiants, on trouve des photos prétendument prises au cours d'orgies et qui sont des images retouchées à l'aide d'un logiciel. L'impact de l'image est désastreux, et aucune argumentation ne permet de contenir les fantasmes qui sont soulevés.

JuicyCampus a été annoncé sur les sites web de plusieurs universités américaines et est aujourd'hui présent sur une cinquantaine d'entre elles. et a a provoqué beaucoup d'émotion : peut on laisser tout dire et même encourager à dire n'importe quoi au nom de la liberté d'expression ?

Aux Etats-Unis, les études sont très onéreuses, et souvent perçues comme un investissement. Aussi, quelques uns se sont inquiétés de l'effet que pourrait avoir sur un employeur les messages que l'on trouve sur JuicyCampus : est ce que la réputation de l'université ne va t elle pas baisser ? Quel effet cela va avoir sur les recruteurs ?

D'après l'agence Associated Press JuicyCampus a été banni du réseau de plusieurs universités à la demande des étudiants. FaceBook est un des lieux de résistance et on y compte aujourd'hui 4 groupes contre juicyCampus.

 

Que l'on se harcele sur les forums Internet n'est pas une chose nouvelle. Ce qui est nouveau c'est que cela puisse devenir un modèle économique. C'est là, sans doute, le seule "juicy" du site. Et vu qu'il succède à des sites comme usagonedirty.com il est possible que la manne soit intéressante.

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P.S.: L'indice Alexa montre que après avoir vivoté pendant un mois, la poularité du site a connu un pic de popularité en Février 2008, peu être en lien avec les articles de presse dont JuicyCampus avait fait l'objet.

* Un troll est une personne postant des messages dans le seul but de provoquer des polémiques sans fin.

Les campagnes de prévention de la pédophilie sur le réseau Internet font souvent référence à un adulte se faisant passer pour un enfant ou un adolescent afin de le séduire. Une étude vient de montrer qu'il s'agit d'un stéréotype et que les pédophiles ne se cachent pas du caractère sexuel de leur démarche. Du point de vue de l'enfant, il s'agit d'une amitié ou d'une histoire d'amour lorsqu'ils s'agit d'adolescents

L'étude à été conduite par Janis Wolak de la  Crimes Against Children Research Center. Elle a porté sur 3000 internautes agés entre 10 et 17 ans qui ont été interrogés par téléphone en 2000 et en 2005. 600 interviews ont par ailleurs été conduites dans tous les USA. Un long article, "Online "Predators" and their victims"[1] vient d'être publié en Février 2008 dans le journal de l'American Psychological Association et fait le point sur trois études conduites sur le sujet

Il apparaît que les cas ou un pédophile se fait passer pour un adolescent ou un enfant sont très rares. La confrontation a la sexualité est dans la majorité des cas apportée par un pair de l'enfant - ce qui ne veut pas dire que cela est moins problématique

Il ressort de l'étude des éléments qui sont important à garder en tête lorsque l'on parle de pédophilie et d'internet. Cela permet d'avoir une vision claire de ce qui se passe et donc de fournir aux enfants des modèles de prévention efficace

• Les enfants qui ont été abusés sont particulièrement vulnérables
• Mettre en ligne des informations personnelles ne semble pas être une conduite à risque
• Les sites sociaux comme mySpace n'augmentent pas particulièrement le risque d'être confronté à un pédophile
• Certains comportements en ligne augmentent le risque : interagir avec des inconnus, avoir des inconnus dans sa liste de contact, parler à des inconnus de sexe, chercher des médias pornographiques, être agressif en ligne
• Les filles sont plus vulnérables, de même que les garçons homosexuels

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[1] Les auteurs sont Janis Wolak, David Finkelhor, Kimberly J. Mitchell (University of New Hampshire) et Michele L. Ybarra (Internet Solutions for Kids, Inc)

 

Après lui avoir confié notre correspondance électronique avec google mail, nos documents avec google doc, nos chiffres avec google tab, nos images avec Picassa, nos relations avec Orkut, allons nous confier notre santé à Google ?

Google vient en effet d' annoncer sur son blog officiel un partenariat avec une clinique privée puis a donné quelques jours plus tard un aperçu de ce que sera ce nouveau service. Avec Google Health : il sera possible de chercher un docteur, de mettre en ligne son dossier médical, de chercher des outils médicaux. Bien évidement, comme cela est maintenant la norme avec le web 2.0, il sera possible de créer des réseaux sociaux en s' appuyant sur les données des dossiers médicaux

Ou est la nouveauté ?
Les professionnels et les usagers ont toujours utilisé l'internet pour échanger. Sur Intenet, la médecine et les maladies sont l'objet de nombreux sites, comme le montre Olivier Ertzscheid sur l'excellent billet qu'il consacre à ce sujet consacre sur agoravox.

La chose n'est pas vraiment nouvelle. Depuis les premiers sites, les patients ont utilisé le réseau pour partager et discuter des difficultés qu'ils rencontrent du fait de leur maladie. Les médecins se sont emparés du réseau un peu plus tard, parce que encombrés par le rêve d'une télé-médecine qui utiliserait la vidéo. Il n'y a pas de doute que cette télé-médecine se mettra en place, mais elle aura été précédé par les listes de diffusion puis les réseaux sociaux de patients, puis de médecins ou encore de patients et de médecins

Google n'est pas seul. Microsoft aussi s'est lancé dans la gestion médicale en ligne. Avec Healthvault, chacun pourra gérer - si cela est possible car la santé est elle un bien qui se gère ? - sa santé. Google et Microsoft affirment bien évidement agir pour le bien de chacun : n'est il pas plus simple d'avoir en un seul lieu tous les documents concernant sa santé. Les résultats des prises de sang, les radios, les comptes-rendus médicaux, les ordonnances, les achats dans les différentes pharmacie, tout cela sera disponible directement en ligne, c'est à dire, avec la démocratisation du haut débit sans fil, de partout. Bien sur, il faudra limiter le monde aux mégapoles occidentales, mais c'est précisément ce public que visent Microsoft et Google. Coté médecins, on imagine que le travail en sera facilité : quelques clics, et c'est l'histoire médicale du patient qui apparaît dans le navigateur traduite et courbes et graphiques. On imagine les différents plugins permettant de faire apparaître les définitions du Vidal ou un arbre d'aide au diagnostic. Coté patient, en un clic, on pourra faire apparaître les officines les plus proches, les prix pratiqués, et les réseaux de personnes présentant la même affection ou la carte d'occurence de la maladie dans le pays, la région, ou même le quartier.

Un privé partagé ?
Google et Microsoft profitent des caractéristiques transnationales du réseau pour mettre et sans doute imposer par des usages ce que les états mettent difficilement et prudemment en place : le dossier médical informatisé. L'indexation totale des informations que propose le Web 2.0 associé a ce que Olivier Ertzscheid appelle joliment la dérive des continents informationnels fait que tout ce qui sera mis en ligne sous le titre de "dossier médical" échappera immédiatement à son auteur.

Ce qui est privé et ce qui est public, ce qui est. commun et ce qui est partagé fait l'objet de négociations aux niveaux sociaux, familiaux et individuels : "Il n'y a pas une vie privée, aux limites définies une fois pour toutes, mais un découpage lui-même changeant de l'activité humaine entre la sphère privée et la sphère publique" remarquait Antoine Prost * Par exemple, le privé que l'on oppose au voisin ne n'est plus devant l'enqueteur social; le privé du bourgeois ne recouvre pas totalement celui de l'ouvrier. Mieux : le privé et le public sont constitutif de nos identités. L'usage que nous en avons nous défini comme bourgeois ou ouvrier.

C'est cette problématique que l'Internet bouleverse puisque ce que l'on met en ligne devient immédiatement partagé ou partageable.

Sommes nous prêts à cela ?

* Ph. Aries et G. Dubby, Histoire de la vie privée, Points Seuil

Dans une interview donnée au magazine Elle daté du 4 février 2008, Claude Halmos *  tient sur les punitions données aux enfants, et particulièrement la fessée, des propos assez surprenants. La punition, voire la fessée, seraient un moyen pour les parents de rappeler à l' enfant les interdits : 

"L'autorité parentale n'a de sens que si elle inclut la sanction. Quand une chose est interdite, il faut l'expliquer à l'enfant. S'il transgresse, lui rappeler l'interdit. S'il continue en toute connaissance de cause, le sanctionner. C'est le seul moyen pour lui de croire dans la parole des adultes, de comprendre que l'interdit posé est incontournable" Claude Halmos **

Ainsi, l'énervement, la colère, voire la violence que les grandes personnes peuvent exercer sur les petites personnes pourrait présider à sa construction. Pourquoi ?

"Parce que c'est le meilleur moyen de montrer qu'on a des limites et de lui permettre d'appréhender ce qu'est un autre être humain dont on ne fait pas tout ce qu'on veut et que l'on doit respecter" Claude Halmos **

On dirait que tout à son désir de souligner que lorsque l'on est parent, les moments de colère et d'énervement sont normaux, Claude Halmos en vient à banaliser la violence qui eut être faite aux enfants ; celui qui a un jour recours à la fessée ne serait pas maltraitant.

 

Il n'en est rien.

Une fessée n'a jamais eu la moindre vertu éducative. Elle a des effets de dressage : l'enfant craint d'être à nouveau battu. Il ne respecte pas l'interdit, mais la force. Il intégre que, de façon ponctuelle ou régulière, les relations à l'autre peuvent être réglées par la violence, et que le droit est du coté qui en a l'usage le plus efficace. Les interdits ne sont pas intégrés par la violence physique ou psychologique. Un interdit est quelque chose qui défend. L'enfant comme son entourage y sont soumis : il est défendu de blesser l'autre; il est défendu de se blesser soi-même. Ce sont des castrations mises aux désirs agressifs, érotiques ou narcissiques. L'enfant ne les tient que d'un adulte qu'il considère comme exemplaire. Tout autre forme d'intériorisation des interdit n'est pas de l'éducation mais du dressage.

Claude Halmos est psychanalyste.Elle a publié dernièrement L'autorité expliquée aux enfants et Pourquoi l'amour ne suffit

 

** Toutes les citations sont extraites de la revue Elle datée du 4 février 2008, p. 152

Le téléphone est un objet qui a subit de multiples mutations depuis son invention par Alexandre Graham Bell. Au départ, c'est un meuble immense, solidaire d'un mur. On y parle à son interlocuteur debout. La brièveté est de mise.

Puis, il s'accoquine avec un fauteuil. Posé sur un guéridon, on peut y prendre ses aises. La communication devient discussion.

La mutation suivante le voit se diversifier. Dans ses formes, d'abord. Le cadran est abandonné et le clavier à touches s'impose. Les lettres qui accompagnaient le cadran et qui servaient d'aide-mémoire pour les numéros survivent à cette mutation. Il commence à manifester des désirs d'ubiquité : on le trouve dans le salon, dans la chambre et dans la cuisine.

Puis, le téléphone ne garde qu'un lien minimal avec le mur. Une petite base le rattache à la prise téléphonique et chaque base peut piloter plusieurs appareils. Le téléphone a des rêves de réseau

Dans le même temps, certaines professions ont un curieux petit appareil qui les rattache à un téléphone. Qu'il se manifeste, et son propriétaire sait qu'il doit appeler en urgence tel numéro. Des téléphones dits portables apparaissent - il vaudrait mieux dire "baggageables" car il faut une petite valise pour les transporter. Posséder un tel téléphone signifie immédiatement que vous êtes quelqu'un d'important

Enfin, le téléphone s' émancipe totalement de son mur d'origine. Il n'est plus nécessaire d'avoir une habitation pour avoir un téléphone. Le téléphone est "cellulaire"  (mais de quel organe, de quel corps est il la cellule ?), ou "portable" (mais vers quelles destinations ?) . Le réseau dont il rêvait se manifeste maintenant sous la forme de petites barres. Les lettres qui accompagnaient son cadran, puis son clavier, retrouvent enfin leur vraie utilisation grâce aux SMS*. Le public s'en est emparé avec la ferveur que l'on sait.

Tout au long de ses mutations successives, le téléphone s'est doté d'un écran et de fonctions de mémoire. Il a d'abord été possible de voir ce que l'on faisait sur le clavier, puis d'afficher les numéros entrants et sortants. Les fonctions de mémoire augmentant, le téléphone est devenu capable d'enregistrer les événements qui mais aussi des choses très différentes comme des images, des sons, et des textes.

Maurizio Ferraris *  fait de cette capacité d'enregistrement le coeur de son "ontologie du téléphone mobile" cet appareil est un instrument de construction de la réalité sociale. Maurzio Ferraris définit les objets sociaux comme des inscriptions, quelqu'en soit le support : magnétique, papier, ou même biologique. Il montre, de façon tout à fait probante, comment cette capacité d'inscription change, bouleverse même, notre rapport au téléphone, et donc au monde : "Il n'y a pas de hors texte". On y croise en effet Derrida, mais aussi Proust, Heiddegger, Derrida, Ikéa ou Kafka...

"Le mobile est seulement notre" : il permet d'atteindre partout un correspondant, et un correspondant uniquement. Même déconnecté, il dit quelque chose de son propriétaire. Il n'est même plus besoin de parler ou de lire les SMS : une sonnerie dit déjà "je pense à toi" ou "j'ai épuisé mon crédit, rappelle moi". En quelque sorte, nous sommes devenus nos mobiles.

Faut il s'en plaindre ?

 

* Ferraris Maurizio, T'es où ? Albin Michel 2006

Chacun l'aura remarqué : les oreilles sont occupées. Elles le sont depuis les années 80 lorsque le walkman a été inventé. Comme cela arrive parfois, il s'agissait en fait d'une ré-invention [voir l'histoire du walkman] Le baladeur, comme on l'apprendra a le traduire en France, aura ses moments de gloire et ses éclipses. Il a su s'adapter aux différents formats, et il est maintenant omniprésent soit sous la forme de lecteur MP3/4 soit dissimulé dans un téléphone. Mais aujourd'hui comme hier, il a mauvaise réputation.

En effet, on comprend trop souvent l'utilisation de ces appareils comme allant à contre-sens de la vie sociale. Au pire, nous serions menacés par un monde ou chacun serait enfermé dans son monde, coupé des autres et n' entretenant avec eux que le strict nécessaire de relation. Les critiques plus modérées soulignent que les lecteurs MP3/4 sont le signe éclatant d'une société gagnée par l'individualisme et le morcellement. Bref, on comprend souvent l'utilisation de ces appareils comme un écran opposé à l'autre.

Il est exact que ces objets créent des douves et des murailles qui peuvent rendre malaisée la rencontre. L'excès de son, en saturant l'espace psychique de l'auditeur, le rend indisponible a ce qui vient d'ailleurs. Mais il faut aussi prendre en compte le verso de l'enveloppe sonore.

Au coté protecteur, dur, isolant s'associe un feuillet plus souple. Contrairement au premier feuillet qui est tourné vers l'extérieur, ce second feuillet est tourné vers l'intérieur. Aussi, ce qui peut sembler être une coupure avec le monde externe, peut aussi être un moment de rencontre privilégié avec le monde interne. Là, dans le creux d'une enveloppe sonore, chacun peut se choisir la musique qui s'accorde le mieux avec son état psychique : revigorante, triste, martiale... Il est possible de maitriser les émotions qui sont alors appelées en jouant sur le volume sonore, la répétition ou l'évitement de certains titres. Enfin, il est possible de partager ce moment avec d'autres, soi en lui prétant un écouteur comme on le voit parfois joliment, soit en lui envoyant le morceau

Ainsi, les lecteurs MP3/4, comme leur ancêtre le baladeur, comme tous les objets sont à la fois « des supports de relation et de communication, des poteaux indicateurs de nos rêves, avoués ou secrets, et des outils pour nous assimiler le monde » S. TISSERON, Comment l’esprit vient aux objets, Aubier, 1999, p. 22

Proche du corps, toujours à portée de main, touchés, triturés, ils sont devenu des constituants de notre identité. Ils la protégent en nous donnant une contenance, voir une réassurance et en diffusant autour de nous une enveloppe sonore protectrice. Enfin, ils l'lélargissent en nous donnant des possibilités de mieux explorer nos états internes.

Parfois, le thérapeute s'imaginait en un Capitaine Achab. L'idée lui en était venue quand il s'était surpris à penser que certains patients sondaient comme des baleines. Le problème, jamais réglé, est de savoir s'il s'agit d'une plongée calme - auquel cas il faut la laisser se dérouler - ou d'une plongée angoissée. Certains patients sondent brutalement, et profondément, sans que rien ne le laisse prévoir. D'autres sondent par paliers. On les voit un moment entre deux eaux, puis ils disparaissent dans les profondeurs. Il n'était pas tout à fait dupe de cette rêverie : le capitaine boiteux, poursuivant d'une haine implacable quelque chose, toujours là-bas, toujours plus loin. Il percevait le réseau des significations préconscientes - la sonde, la mer, le harpon. En arrière plan, le bateau, et l'équipage - quel groupe interne avait il embarqué en lui ? Mais il se laissait parfois porter par elle, le temps de prendre une décision, ou le temps qu'il fallait au patient pour remonter. En surface, la mer était parfois d'huile, parfois démontée. Mais que lui importait ? N'était il pas le Capitaine Achab ?

Je viens de mettre en ligne sur ePsychologie un court billet sur "Le trou noir du cyberspace" ou comment l'usage de l'Internet révèle nos angoisses les plus archaïques !

L'article : le trou noir du cyberspace