Et si j'essayais de m'aimer un peu en dépit de ce corps que je ne veux plus voir et qui me fait souffrir ? Comment apprécier ce que je suis, qui je suis, en mettant de côté cette apparence que je refuse de voir mais qui me saute aux yeux dans le regard des autres ?
Tenter d'être heureuse malgré tout, en dépit de ses soucis de famille, de santé, d'argent, de rejet de soi. Voilà un défi de taille pour moi !
Vais-je réussir enfin à me voir au-delà de ce physique qui me répugne totalement depuis au moins 3 ans ? Vais-je pouvoir accepter pleinement que l'on m'aime comme je suis, ronde, très ronde même, sans poser de questions, de "pourquoi", "tu es sûr(e) ?", "ça ne te gênes pas ?". Que l'on m'aime au-delà de l'image impitoyable et assassine du miroir ?
Je vous préviens je vais parler de moi, de ce vécu qui me pèse autant que ces nombreux kilos. Pour essayer de ne plus avoir mal en y repensant. Ce sera sans doute un peu long. C'est une sorte de catharsis.
J'ai passé la 1/2 de mon adolescence à me cacher pour qu'on ne me voit jamais telle que je me voyais dans le miroir chaque matin. Grosse. Bouffie. Pas féminine pour un sou. Mal fagottée et "balaise" en plus ! Capable de soulever ses petits camarades masculins en cours de sport. Capable de leur mettre une sévère dérouillée lorsqu'ils faisaient les cons envers mes rares copines.
C'était déjà mon quotidien en cm2. J'avais déjà "pris" en centimètres et en kilos et pouvait sans effort me battre avec succès contre les petits mecs de la récré.
J'ai été seule. Souvent seule. Face à moi-même, mon image, celle qu'en avaient les autres qui ricanaient.
Puis j'ai pris le parti d'en rire. D'en rire jaune. Rares ont été celles et ceux qui ont compris que derrière mes auto-flagellations comiques il y avait un puits de souffrances dissimulées. Je suis devenue l'humoriste d'une bande d'ados. J'ai eu des copines, des copains, parfois même des ami(e)s.
J'ai enchaîné les régimes les plus dingues ou les plus terrifiants avec pour coach implacable ma propre mère. Eternelle insatisfaite de mon corps, de mon apparence. Elle qui rêvait d'une gracieuse petite Princesse aimant les froufrous et le rose. Agile petite ballerine en tutu. Elle s'est retrouvée avec une petite chose remplie de beaucoup d'énergie à revendre, casse-cou et plutôt Fifi brindacier que Martine. Ronde très tôt. Bien trop tôt. J'ai connu le chocolat sans sucre à 6 ans. Le premier régime en CP (le 1er échec). Les remontrances. Les sucreries sous clef. Pas de goûter ma chérie tu es assez grosse comme cela. Le père là mais absent. Pourtant très "grande gueule", là pas un mot. Ne dit rien et ne fait rien contre la mère. Donc il est d'accord avec elle ? Mon père me trouvait donc lui aussi trop grosse...
Le sport à outrance pour essayer de gommer ces rondeurs inacceptables. Gym pour fille en body ultra moulant (histoire de bien être humiliée par les gamines toutes mimi et fines), la danse classique où l'on m'a comparé à un hippopotame en tutu (merci madame la prof), puis la natation (idem pour le super maillot), le tennis, l'escalade, le vélo. La complexée de service. Jusqu'à 5h de natation par semaine et 2h de tennis ont contribué à m'élargir encore plus. A me donner une silhouette encore moins féminine. A me donner du muscle. Paf ! Nouveau surnom : "Mauresmo". Pour Amélie Mauresmo, considérée comme l'armoire Normande pas sexy du tout du tennis féminin, merci.
La valse des médecins pour tenter de me faire perdre du poids. La valse des régimes. Manger un aliment par jour, manger un groupe d'aliments par jour, manger dissocié, sans sucre, puis sans gras, manger des protéines et puis c'est tout. Enfin, le meilleur pour la fin/faim : se gaver de milk-shake hyperprotéinés. Miracle !!! A chaque diète "en sachet" une douzaine de kilos disgracieux qui s'en vont, et autant d'admiration dans le regard des autres et surtout de ma mère. Si fière à présent d'avoir une fille normale et présentable et non plus ce petit cheval de trait musculeux. Le père ? Il s'en fout plutôt pas mal, les régimes c'est un truc de nanas hein !
Puis la désillusion, le retour à la réalité : l'après-régime hyperprotéiné. La catastrophe, le retour des kilos avec à chaque fois des kilos bonus. Le dégoût de soi et les larmes. Le regard amer et las de ma mère sur "mes" échecs.
La crise. Les cris. J'impose qu'on en parle plus. Mon corps est MON corps. Qu'il soit moche ou sexy, beau ou laid, il m'appartient et je ne boirais plus de milk-shake à me faire vomir !
La fin d'une époque, la folle course à la taille 38. La fausse acceptation (de guerre lasse contre moi-même) de mon gentil 42 en jeans et 42/44 en tee-shirts. Puis l'insidieuse descente aux enfers. On passe du 42 au 44 en bas et au 46/48 en haut. Ca coince de partout. Je ne respire plus. Problèmes cardiaques, retour de l'asthme qui m'avait un peu oublié. Essouflement. Retour à la case départ : le régime ?
Perdre une quizaine de kilos en 4 ans, tout doucement, mais avec le soutien de véritables amies de fac. Avec amour. Avec bonheur. Maintenir ce poids pendant 4 ans encore, sans trop d'efforts. J'allais bien dans mon corps et dans ma tête, je m'aimais, je m'acceptais. Je ne subissais plus la terreur quotidienne de ma mère, je n'habitais plus chez elle depuis 4 ans...comme par hasard ?
Vient ensuite la crise familiale, le couple parental qui se déchire, se hait, et nous fait beaucoup de mal. Mes frères et moi avons "pris dans la gueule" comme on dit, quelques 38tonnes pendant 2 ans de cette "guerre". Ma mère venue s'installer chez moi... Alors que je suis en couple. Et ? Comme par hasard le retour du fléau, le retour du "grand mal". Le surpoids, les kilos qui s'accumulent.
Ma mère toujours à me critiquer sur tous mes choix et surtout ceux alimentaires et vestimentaires. Ma mère qui parce qu'elle "paye" pense avoir le droit de regard sur toute mon existence.
Ma mère qui m'asphysxie au point que mon couple a failli se casser. Ma mère qui refuse d'admettre son côté toxique envers moi. Nouvelle crise familiale. Je suis une fille indigne, une ingrate, une méchante fille.
Ma mère qui est malade (depuis longtemps) et qui en joue fabuleusement bien pour que je ne rompe pas tout contact avec elle. Ma mère qui parfois tout de même a raison.
Je l'aime malgré tout ce qu'elle m'a fait faire. Malgré tout ce qu'elle a raté avec moi, tout ce qu'on a pas vécue comme relation mère-fille. C'est ma petite maman. Je la ménage comme je peux. Et je me ménage comme je peux.
Je refuse de lui raconter toute ma vie et je l'écarte systématiquement de mes problèmes de poids sinon c'est la crise de colère assurée. J'essaie de ne pas répondre et faire une scène quand elle m'envoie des vêtement en taille 38 alors qu'elle sait que je fais du 44.
Elle habite à nouveau loin de chez moi depuis 2 ans mais je n'arrive toujours pas à perdre du poids.
Comment perdre ces kilos émotionnels que j'ai pris en refusant longtemps d'extérioriser ma peine ? Comment faire pour ranger hors de moi, hors de mon corps, tout ce poids des émotions ???