J'ai recu cela par email - TRES POIGNANT !
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Traduction
de la Lettre d'Ingrid à sa maman
01/12/2007
- El Tiempo
Yolanda
Pulecio, la maman d'Ingrid, me demande de publier ce qui suit :
La lettre dont vous trouvez ici la traduction est une lettre
privée adressée uniquement à sa famille. Malheureusement la fiscalia (le
ministère public colombien) ne lui a pas remis l'original mais seulement une
copie - de plus tous les numéros de pages ont été arrachés ce qui laisse
supposer que certaines parties manquent. Yolanda Pulecio n'a donné aucune
autorisation de publication. Ni à la fiscalia, ni au journal El Tiempo. De plus
certains passages ont été mal retranscrits et peuvent changer de sens.
Comme
elle est maintenant dans le domaine public et que de nombreux journaux - y
compris en France - en ont publié des extraits, nous la publions ici. En
regrettant cette intrusion par les media dans la vie privée d'une famille déjà
affectée par une situation inhumaine
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«C'est
un moment très dur pour moi. Ils demandent brusquement des preuves de vie et je
t'écris, mon âme tendue sur ce papier. Je vais mal physiquement. Je ne me suis
pas réalimentée, j'ai l'appétit bloqué, les cheveux me tombent en grandes
quantités
Je
n'ai envie de rien. Je crois que c'est la seule chose de bien, je n'ai envie de
rien car ici, dans cette jungle, l'unique réponse à tout est « non ». Il vaut
mieux donc n'avoir envie de rien pour demeurer au moins libre de ses désirs.
Cela fait 3 ans que je demande un dictionnaire encyclopédique pour lire quelque
chose, pour apprendre quelque chose, pour maintenir en vie ma curiosité
intellectuelle. Je continue à espérer qu'au moins par compassion, ils m'en
procureront un, mais il vaut mieux ne pas y penser.
Chaque
chose est un miracle, même t'entendre chaque matin, car la radio que j'ai est
très vieille et abîmée.
Je
veux te demander, Mamita jolie, que tu dises aux enfants qu'ils m'envoient
trois messages hebdomadaires (...). Rien de transcendant si ce n'est ce qui
leur viendra à l'esprit et ce qu'ils auront envie d'écrire (…). Je n'ai besoin
de rien de plus mais j'ai besoin d'être en contact avec eux. C'est l'unique
information vitale, transcendante, indispensable, le reste ne m'importe plus
(…).
Comme
je te disais, la vie ici n'est pas la vie, c'est un lugubre gaspillage de
temps. Je vis ou pliutôt je survis dans un hamac tendu entre deux piquets,
recouvert d'une moustiquaire et avec une bâche au dessus qui fait office de
toit et me permet de penser que j'ai une maison.
J'ai
une tablette où je mets mes affaires, c'est-à-dire mon sac à dos avec mes
vêtements et la Bible qui est mon unique luxe. Tout est prêt pour que je parte
en courant. Ici rien n'est à soi, rien ne dure, l'incertitude et la précarité
sont l'unique constante. A chaque instant, ils peuvent donner l'ordre de tout
ranger [pour partir] et chacun doit dormir dans n'importe quel renfoncement,
étendu n'importe où, comme un animal (…). Mes mains transpirent et j'ai
l'esprit embrumé, je finis par faire les choses deux fois plus doucement qu'à
la normale. Les marches sont un calvaire car mon équipement est très lourd et
je ne le supporte pas. Mais tout est stressant, je perds mes affaires ou ils me
le prennent, comme le jeans que Mélanie m'avait offert pour Noël, que je
portais quand ils m'ont pris. L'unique chose que j'ai pu garder est la veste,
et c'est une bénédiction, car les nuits sont glaciales et je n'ai rien de plus
pour me couvrir.
Avant,
je profitais de chaque baignade dans la rivière. Mais maintenant comme je suis
la seule femme du groupe, je dois y aller presque totalement vêtue : short,
chemise, bottes. Avant j'aimais nager dans la rivière mais maintenant je n'en
ai plus le souffle. Je suis faible, je ressemble à un chat face à l'eau. Moi
qui aimais tant l'eau, je ne me reconnais pas. (…) Mais depuis qu'ils ont
séparé les groupes, je n'ai eu ni l'intérêt ni l'énergie de faire quoi que ce
soit. Je fais quelques étirements car le stress me bloque le cou et cela me
fait très mal.
Avec
les exercices d'étirement, le split et autres, je parviens à détendre un peu
mon cou. (...) Je fais en sorte de rester silencieuse, je parle le moins
possible pour éviter les problèmes. La présence d'une femme au milieu de tant
de prisonniers masculins qui sont dans cette situation depuis 8 à 10 ans, est
un problème (…). Lors des inspections, ils nous privent de ce que nous aimons
le plus. Une lettre de toi qui m'était arrivée, m'a été prise après la dernière
preuve de survie, en 2003. Les dessins d'Anastasia et de Stanislas [neveux
d'Ingrid], les photos de Mélanie et Lorenzo, le scapulaire de mon papa, mon
programme de gouvernement en 190 points, ils m'ont tout pris. Chaque jour, il
me reste un peu moins de moi-même. Certains détails t'ont été racontés par
Pinchao. Tout est dur.
Il
est important que je dédie ces lignes à tous ceux qui sont mon oxygène, ma vie.
A ceux qui me maintiennent la tête hors de l'eau, qui ne me laissent pas couler
dans l'oubli, le néant et le désespoir. Ce sont toi, mes enfants, Astrid et mes
petits enfants, Fab [Fabrice Delloye], Tata Nancy et Juanqui [Juan Carlos, son
mari].
Chaque
jour, je suis en communication avec Dieu, Jésus et la Vierge (...). Ici, tout a
deux visages, la joie vient puis la douleur. La joie est triste. L'amour apaise
et ouvre de nouvelles blessures... c'est vivre et mourir à nouveau.
Pendant
des années, je n'ai pas pu penser aux enfants et la douleur de la mort de papa
accaparait toute ma capacité de résistance. Je pleurais en pensant à eux, je me
sentais asphyxiée, sans pouvoir respirer. En moi, je me disais : « Fab est là,
il veille à tout, il ne faut pas y penser, il ne faut pas penser ». Je suis
presque devenue folle avec la mort de papa. Je n'ai jamais su comme cela s'est
passé, qui était là, s'il m'a laissé un message, une lettre, une bénédiction.
Mais ce qui a soulagé mon tourment, cela a été de penser qu'il est parti
confiant en Dieu et que là-bas, je le retrouverai pour le prendre dans mes
bras. Je suis certaine de cela. Te sentir a été ma force. Je n'ai pas vu de messages
jusqu'à ce qu'ils me mette dans le groupe de [l'otage] Lucho, Luis Eladio
Pérez, le 22 août 2003. Nous avons été de très bons amis, nous avons été
séparés en août. Mais durant ce temps, il a été mon soutien, mon écuyer, mon
frère (…).
J'ai
en mémoire l'âge de chacun de mes enfants. A chaque anniversaire, je leur
chante « Happy Birthday ». Je demande à ce qu'on me laissent faire une gâteau.
Mais depuis trois ans, à chaque fois que je le demande, la réponse est non. Ca
m'est égal, s'ils amènent un biscuit ou une soupe quelconque, de riz et de
haricot -notre ordinaire, je me figure que c'est un gâteau et je célèbre, dans
mon cœur, leur anniversaire.
A toi
ma Melelinga [Mélanie], mon soleil de printemps, ma princesse de la
constellation du cygne, à elle que j'aime tant, je veux te dire que je suis la
maman la plus fière de cette terre (…). Et si je devais mourir aujourd'hui, je
partirais satisfaite de la vie, en remerciant Dieu pour mes enfants. Je suis
heureuse pour ton master à New York. C'est exactement ce que je t'aurais
conseillé. Mais attention, il est très important que tu fasses ton DOCTORAT.
Dans le monde actuel, même pour respirer, il faut des lettres de soutien (...).
Je ne vais pas même me fatiguer à insister auprès de Loli [Lorenzo] et Méla
qu'ils n'abandonnent pas avant d'avoir leur doctorat. J'aimerais que Méla me le
promette.
(...)
Mélanie, je t'ai toujours dit que tu étais la meilleure, bien meilleure que
moi, une sorte de meilleure version de ce que j'aurais voulu être. C'est pourquoi,
avec l'expérience que j'ai accumulé dans ma vie et dans la perspective que
donne le monde vu à distance, je te demande, mon amour, que tu te prépares à
arriver au sommet.
A toi
mon Lorenzo, mon Loli Pop, mon ange de lumière, mon roi des eaux bleues, mon
chef musicien qui me chante et qui m'enchante, au maître de mon coeur, je veux
dire que depuis que tu es né jusqu'à aujourd'hui, tu as été ma source de joie.
Tout ce qui vient de toi est un baume pour mon coeur, tout me réconforte, tout
m'apaise, tout me donne plaisir et placidité (...). J'ai enfin pu entendre ta
voix, plusieurs fois cette année. J'en ai tremblé d'émotion. C'est mon Loli, la
voix de mon enfant, mais il y a déjà un autre homme sur cette voix d'enfant. Un
enrouement d'homme-homme, comme celle de mon papa (…). L'autre jour, j'ai
découpé une photo dans un journal arrivé par hasard. C'est une réclame pour un
parfum de Carolina Herrera « 212 Sexy men ». On y voit un jeune homme et je me
suis dit : mon Lorenzo doit être comme ça. Et je l'ai gardé.
La
vie est devant eux, qu'ils cherchent à arriver le plus haut possible. Etudier
c'est grandir : non seulement par ce qu'on apprend intellectuellement, mais
aussi par l'expérience humaine, les proches qui alimentent émotionnellement
pour avoir chaque jour un plus grand contrôle de soi, et spirituellement pour
modeler un plus grand caractère de service d'autrui, où l'ego se réduit à sa
plus minime expression et où on grandit en humilité et force morale. L'un va
avec l'autre. C'est cela vivre, grandir pour servir (…).
A mon
Sébastien [fils du premier mariage de Fabrice Delloye], mon petit prince des
voyages astraux et ancestraux. J'ai tant à te dire ! Premièrement, que je ne
veux pas partir de ce monde sans qu'il n'ait la connaissance, la certitude et
la confirmation que ce ne sont pas deux, mais trois enfants de coeur, que j'ai
(…). Mais avec lui, je devrais dénouer des années de silence qui me pèsent trop
depuis la prise d'otage. J'ai décidé que ma couleur favorite était le bleu de
ses yeux (…). Si je venais à ne pas sortir d'ici, je te l'écris pour que tu le
gardes dans ton âme, mon Babon adoré, et pour que tu comprennes, ce que j'ai
compris quand ton frère et ta sœur sont nés : je t'ai toujours aimé comme le
fils que tu es et que Dieu m'a donné. Le reste n'est que des formalités.
(…)
Je sais que Fab a beaucoup souffert à cause de moi. Mais que sa souffrance soit
soulagée en sachant qu'il a été la source de paix pour moi. (…) Dis à Fab que
sur lui, je m'appuie, sur ses épaules, que je pleure, qu'il est mon soutien
pour continuer à sourire de tristesse, que son amour me rend forte. Parce qu'il
fait face aux nécessités de mes enfants, je peux cesser de respirer sans que la
vie ne me fasse tant mal. (…)
A mon
Astrica (Astrid, sa soeur), il y a tant de choses à dire que je ne sais par où
commencer. Tout d'abord, lui dire que « sa logique de vie » m'a sauvée pendant
la première année de prise d'otage, pendant l'année de deuil de papa (…). J'ai
besoin de parler avec elle de tous ces moments, de la prendre dans mes bras et
de pleurer jusqu'à ce que se tarisse le puits de larmes que j'ai dans mon cœur.
Dans tout ce que je fait dans la journée, c'est elle qui est ma référence. Je pense
toujours, « ça, je le faisais avec Astrid quand nous étions gosses» ou « ça,
Astrid le faisait mieux que moi ». (…) Je l'ai entendue plusieurs fois à la
radio. Je ressens beaucoup d'admiration pour son expression impeccable, pour la
qualité de sa réflexion, pour la domination de ses émotions, pour l'élégance de
ses sentiments. Je l'entends et je pense « Je veux être comme elle» (…). Je
m'imagine comment vont Anastasia et Stanis (les enfants d'Astrid). Combien cela
m'a fait mal qu'ils me prennent leurs dessins. Le poème d'Anastasia disait «
par un tour du sort, par un tour de magie ou par un tour de Dieu, en trois
années ou trois jours, tu seras de retour parmi nous ». Le dessin de Stanis
était un sauvetage en hélicoptère, moi endormie et lui en sauveur.
Mamita,
il y a tant de personnes que je veux remercier de se souvenir de nous, de ne
pas nous avoir abandonnés. Pendant longtemps, nous avons été comme les lépreux
qui enlaidissaient le bal. Nous, les séquestrés, ne sommes pas une thème «
politiquement correct », cela sonne mieux de dire qu'il faut être fort face à
la guérilla même s'il faut sacrifier des vies humaines. Face à cela, le
silence. Seul le temps peut ouvrir les consciences et élever les esprits. Je
pense à la grandeur des Etats-Unis, par exemple. Cette grandeur n'est pas le
fruit de la richesse en terres, matières premières, etc, mais plutôt le fruit
de la grandeur d'âme des leaders qui ont modelé la Nation. Quand Lincoln a
défendu le droit à la vie et à la liberté des esclaves noirs en Amérique, il a
aussi affronté beaucoup de Floridas et Praderas [municipalités demandées par
les FARC pour la zone démilitarisée]. Beaucoup d'intérêts économiques et
politiques que certains considéraient comme supérieurs à la vie et à la liberté
d'une poignée de noirs. Mais Lincoln a gagné et il reste imprimé sur le
collectif de cette nation, la priorité de la vie de l'être humain sur quelque
autre type d'intérêt.
En
Colombie, nous devons encore penser à notre origine, à qui nous sommes et où
nous voulons aller. Moi, j'aspire à ce qu'un jour, nous ayons la soif de
grandeur qui fait surgir les peuples du néant pour atteindre le soleil. Quand
nous serons inconditionnels face à la défense de la vie et de la liberté des
nôtres, c'est-à-dire, quand nous serons moins individualistes et plus
solidaires, moins indifférents et plus engagés, moins intolérants et plus
compatissants. Alors, ce jour-là, nous serons la grande nation que nous voulons
tous être. Cette grandeur est là endormie dans les cœurs. Mais les cœurs se sont
endurcis et pèsent tant qu'ils ne nous permettent pas des sentiments élevés.
Mais
il y a beaucoup de personnes que je voudrais remercier car ils ont contribué à
réveiller les esprits et à faire grandir la Colombie. Je ne peux pas tous les
mentionner [elle cite alors l'ex président Lopez et « en général, tous les ex
présidents libéraux », Hernan Echevarria, les familles des députés du Vallée,
Monseigneur Castro et le Père Echeverri].
Mamita,
hélas, ils viennent demander les lettres. Je ne vais pas pouvoir écrire tout ce
que je veux. A Piedad et à Chavez, toute, toute mon affection et mon
admiration. Nos vies sont là, dans leur cœur, que je sais grand et valeureux.
[elle dédie alors un paragraphe de remerciements à Chavez, Alvaro Leyva, Lucho
Garzon [ancien maire de Bogota] et Gustavo Petro, puis mentionne des
journalistes].
Mon
cœur appartient aussi à la France (…). Quand la nuit était la plus obscure, la
France a été le phare. Quand il était mal vu de demander notre liberté, la
France ne s'est pas tue. Quand ils ont accusé nos familles de faire du mal à la
Colombie, la France les a soutenues et consolées.
Je ne
pourrais pas croire qu'il est possible de se libérer un jour d'ici, si je ne
connaissais pas l'histoire de la France et de son peuple. J'ai demandé à Dieu
qu'il me fasse don de la même force que celle avec laquelle la France a su
supporter l'adversité, pour me sentir plus digne d'être comptée parmi ses
enfants. J'aime la France de toute mon âme, les voix de mon être cherchent à se
nourrir des composants de son caractère national, elle qui cherche toujours à
se guider par principes et non par intérêts. J'aime la France avec mon cœur,
car j'admire la capacité de mobilisation d'un peuple qui, comme disait Camus,
sait que vivre, c'est s'engager. (…) Toutes ces années ont été terribles mais
je ne crois pas que je pourrais être encore vivante sans l'engagement qu'ils
nous ont apporté à nous tous qui ici, vivons comme des morts.
(...)
Je sais que ce que nous vivons est plein d'inconnues, mais l'histoire a ses
temps propres de maturation et le président Sarkozy est sur le Méridien de
l'Histoire. Avec le président Chavez, le président Bush et la solidarité de
tout le continent, nous pourrions assister à un miracle.
Durant
plusieurs années, j'ai pensé que tant que j'étais vivante, tant que je
continuerai à respirer, je dois continuer à héberger l'espoir. Je n'ai plus les
mêmes forces, cela m'est très difficile de continuer à croire, mais je voudrais
qu'ils ressentent que ce qu'ils ont fait pour nous, fait la différence. Nous
nous sommes sentis des êtres humains (...).
Mamita,
j'aurais plus de choses à dire. T'expliquer que cela fait longtemps que je n'ai
pas de nouvelles de Clara et de son bébé (…). Bon, Mamita, que Dieu nous vienne
en aide, nous guide, nous donne la patience et nous recouvre. Pour toujours et
à jamais.» ...