Le Réseau d'allergo-vigilance (RAV) recense en France et dans les pays limitrophes les cas d'anaphylaxie alimentaire sévère rapportés par les allergologues, réaction grave d'hypersensibilité immédiate allergique qui, lorsqu'elle s'accompagne d'une chute de la tension artérielle ou d'une perte de connaissance, définit le choc anaphylactique. Il est ainsi en mesure de dépister les "allergènes alimentaires émergents". Entrent dans cette catégorie des allergènes connus, à l'origine d'une augmentation de la fréquence des déclarations d'anaphylaxie sévère, et d'autres non auparavant incriminés, mais provoquant soudainement plusieurs cas de graves réactions anaphylactiques. Le 7e Congrès francophone d'allergologie, qui s'est tenu à Paris du 24 au 27 avril, a consacré une session à ce thème.
L'allergie au sarrasin, traditionnellement retrouvé dans les crêpes bretonnes, apparaît comme une allergie émergente en raison de l'utilisation croissante de cette graine (encore appelée blé noir) dans l'industrie agroalimentaire pour son rendement économique avantageux. Le sarrasin est présent dans des sandwichs, barres de céréales ou nouilles asiatiques, produits dans lesquels l'étiquetage est non obligatoire, ce qui en fait un allergène masqué redoutable. Le sarrasin est aussi fréquemment employé comme céréale de substitution du blé chez les enfants souffrant de maladie coeliaque (intolérance au gluten). "On dénombre 14 cas d'anaphylaxie sévère au sarrasin depuis 2010, dont cinq cette année, le dernier remontant à ce mardi. Aucun décès n'a été enregistré. Tous les patients pris en charge ont ensuite reçu une trousse d'urgence avec de l'adrénaline",précise le docteur Marie-Christine Castelain-Hacquet, chef du service d'allergologie de l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul à Lille.
Tout en faisant partie des 14 allergènes à déclaration obligatoire, le soja n'en est pas moins un allergène émergent. Des cas d'anaphylaxie sévère ont été décrits chez des sujets allergiques à l'arachide. De même, on s'est aperçu que les personnes sensibilisées au pollen de bouleau ont un risque plus élevé de développer une anaphylaxie à des boissons diététiques au soja. Chez des patients allergiques à l'arachide ou au pollen du bouleau, il convient donc d'être vigilant à l'égard d'une éventuelle allergie croisée au soja.
NOURRITURE ET PRODUITS COSMÉTIQUES
"L'augmentation de la fréquence de cette allergie tient au fait que l'industrie agroalimentaire utilise beaucoup le soja, les protéines végétales étant moins chères que celles d'origine animale, notamment dans des farines trouvées dans des steaks industriels, boulettes de viande, nuggets et pains", indique le docteurSylvie Gomez-André, pédiatre allergologue à l'hôpital Femme-mère-enfant, à Lyon. Le nombre de personnes exposées est par ailleurs en augmentation du fait d'uneconsommation croissante de produits bio à base de soja (crèmes, yaourts, lait) et de régimes hyperprotéinés.
Les hydrolysats de blé (ou gluten déamidé) représentent de nouveaux allergènes alimentaires issus de procédés de fabrication utilisés dans l'industrie agroalimentaire pour obtenir la solubilisation du gluten. Employés comme agents liants et émulsifiants, ils sont principalement présents dans les viandes reconstituées, charcuteries industrielles, soupes et sauces. "Sur les 1 135 cas d'anaphylaxie alimentaire sévère recensés depuis 2002 par le RAV, l'allergie aux hydrolysats de blé est responsable de 1,15 % des cas, indique le docteur Fanny Codreanu-Morel du service d'immuno-allergologie du Centre hospitalier de Luxembourg. Le patient allergique est pénalisé car il n'a aucun moyen de savoir si le produit fini contient de la farine de blé naturelle, à laquelle il n'est pas allergique, ou au contraire un hydrolysat de blé. En effet, la directive européenne impose l'étiquetage des céréales contenant du gluten, sans plus de précision."
Ces hydrolysats de blé, également incorporés dans des produits cosmétiques (mascaras, crèmes de soins, shampooings...), peuvent être responsables d'allergie cutanée. Certains allergologues estiment que des patients sont devenus allergiques aux hydrolysats de blé après avoir appliqué régulièrement des cosmétiques qui en contenaient. La séquence protéique responsable de ces allergies vient d'être identifiée par des chercheurs de l'Institut national de recherche agronomique (INRA) de Nantes et l'équipe du professeur Denise-Anne Moneret-Vautrin, directrice du RAV. L'étude, à paraître dans la revue Allergy, rapporte la présence d'une séquence de huit acides aminés retrouvée en plusieurs exemplaires dans deux protéines du gluten déamidé.
"Les isolats de blé illustrent l'influence des procédés de fabrication de l'industrie agroalimentaire sur l'allergénicité naturelle des aliments, avec apparition de néoallergènes. Ils symbolisent le potentiel anaphylactique de produits alimentaires complexes de notre alimentation qui repose de plus en plus sur le mode du prêt-à-consommer", souligne le docteur Codreanu-Morel.