Robert Barbault (Ecologue, Directeur du Département Ecologie et Gestion de la Biodiversité)
"L'Homme scie la branche sur laquelle il est assis"
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2010 est l'Année internationale de la biodiversité. Le professeur Robert Barbault, écologue, nous explique le défi à relever pour sauver les espèces. |
Publié le 24/03/2010
P2010 année de ouvez-vous définir ce qu'est la biodiversité ?
Professeur Robert Barbault : la biodiversité est le tissu vivant de la planète. Il se caractérise par sa diversité : diversité des espèces, diversité génétique...Ce mot est apparu officiellement pour la première fois en 1992 au Sommet de la Terre à Rio de Janeiro. Mais il fut fabriqué dès 1986 par des scientifiques alarmés par les menaces qui pesaient sur le vivant, par l'érosion de la "diversité du vivant". Ce terme suggère seulement un constat alors que le terme "Biodiversity" relate la diversité du vivant à la société humaine. Elle implique l'Homme comme espèce intégrante de la diversité du vivant et lui fait prendre conscience qu'il en vit, qu'il en dépend.
Depuis quand observons-nous une baisse significative de la biodiversité ?
Il y a eu plusieurs épisodes. Les scientifiques ont commencé à voir une accélération de la perte naturelle de la biodiversité au cours du XXe siècle. Après le paléontologue Fairfield Obsorn et son alarmiste "La planète au pillage" (1949), la zoologiste et biologiste Rachel Carson en parle dans son livre "Le Printemps silencieux" en 1962. Ce livre a contribué à lancer le mouvement écologiste en Occident.
L'écologie est née en même temps que la prise de conscience des dégradations des écosystèmes à la fin du XIXe siècle. Les premières études quantitatives de la biodiversité sont récentes ; elles datent des années 70 et 80.
Combien d'espèces sont d'ores et déjà définies ? A combien estime-t-on le nombre d'espèces terrestres ?
Le compteur est aujourd'hui à 1,9 millions d'espèces nommées, répertoriées dans les collections des muséums du monde. Mais si la quasi-totalité des vertébrés, particulièrement des oiseaux, est bien cernée, ce n'est pas le cas des insectes, des mollusques, des vers et des micro-organismes. On estime le nombre des espèces vivantes à plusieurs dizaines de millions – donc la part d'inconnu est gigantesque.
Comment procédez-vous pour recenser la perte de biodiversité ?
On ne peut le faire que pour les groupes bien connus et pour lesquels il existe des spécialistes suffisamment nombreux ; spécialistes ou amateurs compétents - c'est particulièrement le cas dans le monde de l'ornithologie, de la botanique ou pour certains groupes d'insectes. Retenons l'exemple des oiseaux.
"Les forêts tropicales et les récifs coralliens sont les écosystèmes en danger" |
A été mis au point en France par le Museum, le programme STOC (Suivi Temporel des Oiseaux Communs) qui recense depuis plus de 20 ans 110 espèces. Un millier d'observateurs qualifiés observent annuellement les populations de ces espèces ce qui permet de faire une bonne évaluation de l'état de cette composante de la biodiversité et de son évolution. Par exemple, nous pouvons affirmer que les espèces ornithologiques liées à l'agriculture ont diminué de 20 %.
Pour faire une étude fiable, il faut pouvoir diriger d'année en année des observations bien définies sur des espèces déterminées et ce sur une période assez longue comme pour STOC.
Quels sont les écosystèmes les plus en danger actuellement ?
Les grandes forêts tropicales sont très riches en espèces car elles ont été protégées des périodes de glaciation. Beaucoup d'espèces endémiques, à savoir que l'on ne trouve que dans ces milieux, sont en grande nombre. Le bémol est que les forêts tropicales connaissent une forte pression. Elles sont exploitées intensément par l'Homme. Les palmiers à huile suivent la déforestation pour fournir de l'agrocarburant à nos voitures. Et puis, les hommes ont de plus en plus besoin de terres pour cultiver d'où une forte déforestation.
Les récifs coralliens ne représentent que 0,6 % de la surface des océans mais ils abritent près de la moitié des espèces marines. Avec le réchauffement climatique, la hausse du niveau des océans, l'augmentation de la concentration en CO2 et l'acidification de l'eau qui en résulte, ces milieux sont soumis à une forte pression qui stresse les coraux et conduit à leur blanchiment et à leur mort. Si rien n'est fait pour les protéger, nous allons au devant d'une grave crise mettant en danger tout l'écosystème marin.
Les zones méditerranéennes comptent une forte biodiversité. Elles sont aussi soumises à une forte pression avec le réchauffement climatique mais aussi avec le développement urbain mais ce phénomène n'est pas récent.
Pouvons-nous parler d'une sixième crise écologique ?
Parler de 6e crise est un phénomène très américain et traduit la recherche spectaculaire. Je serai plus nuancé sur l'expression. Les 5 crises précédentes se sont déroulées sur des centaines de milliers d'années. L'extinction des dinosaures au Crétacé ne s'est pas faite en une semaine. La restauration des espèces suite à ces extinctions massives ne s'est pas faite en un laps de temps record. Donc à l'heure actuelle, on ne peut pas parler de crise écologique car l'échelle de temps est trop courte.
L'Homme a accéléré le processus naturel d'extinction d'espèces. La Terre perd actuellement 100 à 1000 fois plus d'espèces qu'au rythme naturel à cause de nous. Si nous ne faisons rien à terme pour arrêter cet emballement de perte de biodiversité, alors nous nous dirigerons vers une sixième crise écologique majeure mais nous n'y sommes pas encore.
Comment l'espèce humaine agit-elle sur la biodiversité ?
L'Homme ébranle la biodiversité en :
Détruisant les habitats de nombreuses espèces par la déforestation ou en le morcelant pour répondre au besoin d'une agriculture intensive, de l'urbanisation.
Surexploitant les ressources comme la surpêche.
Introduisant des espèces exotiques par le commerce international qui deviennent envahissantes.
Accentuant le réchauffement climatique.
L'espèce humaine monopolise l'espace et pollue. Le mode de fonctionnement et les besoins de l'Homme sont la source de la destruction de la biodiversité.
Quels sont les moyens à mettre en œuvre pour arrêter cette accélération de perte de biodiversité ?
La vraie difficulté est que l'homme se croit en dehors de la biodiversité alors qu'il est une espèce parmi d'autres. Il scie la branche sur laquelle il est assis. Les humains ne voient pas qu'ils dépendent à 100 % de la biodiversité, que ce soit pour se nourrir, se vêtir, se soigner ou pour brûler les énergies fossiles telles que le pétrole...
Les populations locales comme les indiens en Amérique latine ou certains peuples africains savent vivre en harmonie avec leur milieu sans l'altérer. Nous, non ! Il faut donc éduquer les citoyens pour leur faire comprendre que nous dépendons des interactions du vivant. Il faut changer de vision car notre mode de vie perturbe les écosystèmes terrestres... Et menace nos conditions de vie.
Des mesures ont été prises il y a plus d'un siècle avec l'élaboration de parcs nationaux et des réserves. Mais nous nous sommes vite rendu compte que cela provoquait d'autres problèmes. Il a fallu se "débarrasser" des tribus vivant sur place comme en Afrique ou en Amérique du Nord (guerre avec les Indiens Shoshones lors de la création du Parc de Yellowstone). Et puis, les autochtones doivent faire face, surtout en Afrique, à de graves problèmes de braconnage qui demandent la mobilisation de beaucoup de personnel.
La mise en place de réserves de biosphère découlant du programme de l'Unesco "l'Homme et la biosphère" est une stratégie plus prometteuse. Il s'agit d'intégrer l'Homme aux écosystèmes et trouver un équilibre entre les besoins humains et la préservation des espèces. Il y a 550 réserves de biosphère réparties dans 107 pays. En France, nous avons le parc des Cévennes, la Camargue, Fontainebleau, etc.
Y a–t-il une vraie volonté politique de sauvegarder la biodiversité ?
Il y a eu un groupe "biodiversité" pour le Grenelle de l'Environnement qui a mieux fonctionné que les autres. Mais dans les actes, c'est vrai que c'est resté au second plan. Chantal Jouanno [ndlr : secrétaire d'Etat chargée de l'Ecologie] montre un véritable intérêt pour la biodiversité mais le réchauffement climatique accapare trop l'attention.
Je constate une vraie prise de conscience d'une poignée d'élus et une relation étroite entre certaines associations actives et les services du ministère en charge de l'Environnement.
En somme, en 10-15 ans, il y a une forte amélioration et une plus grande mobilisation pour la sauvegarde de la biodiversité dans divers secteurs d'activité. Mais cela reste insatisfaisant.
Pensez-vous que les grands de ce monde sauront se mobiliser ensemble pour la biodiversité ?
Regardez le Sommet de Copenhague ! L'Occident a loupé le coche et a perdu une belle occasion de montrer l'exemple. Nous sommes dans un système ultra-libéral où les Etats ne pèsent pas lourds. On perd beaucoup de temps.
Les plus à plaindre sont les pays du Sud dont nous avons pompé longtemps les richesses. Que va-t-il advenir des générations futures ? Avec la biodiversité, nous pouvons nous repositionner et nous ériger en exemple. On peut se réconcilier avec le vivant tout en continuant notre vie.
Que pensez-vous de la décision de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (Cites) d'autoriser la commercialisation internationale du thon rouge ?
C'est tragique, je suis vraiment choqué ! Avant de donner des leçons, il faut être d'une grande intransigeance pour œuvrer pour le bien être de la planète. Pour éviter ces dérives il serait bon de créer des organisations internationales pour la biodiversité comme le Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat (GIEC) pour le climat. Encore faut-il ensuite éviter de tout faire pour les discréditer !