lundi 28 février 2011
Lettre à Annie Girardot.
Annie,
à l'heure avancée de cette soirée d'où je vous écris, Barbara chante "Pierre". En voici une bien belle chanson pour accompagner ces mots que je vous réserve. "Il pleut... et j'entends le clapotis du passé qui se remplit... Oh mon Dieu que c'est joli la pluie...", geint-elle. Ces paroles, ce soir, on les croirait écrites tout spécialement pour vous. Et pourtant, c'était il y a tellement longtemps, mais passons, ce n'est pas le sujet qui nous intéresse aujourd'hui.
Ainsi, chère Annie, la maladie vous a emportée, ce lundi 28 février 2011. Alzheimer vous a embrassée pour mieux vous faire perdre pieds. On vous savait malade depuis quelques années déjà, car dès les prémices de ce mal qui vous rongeait vous vous étiez rapidement exprimée sur le sujet. En témoin fébrile de cette mémoire qui flanche et s'en va pour ne plus jamais revenir. Et mieux faire la nuit sur votre existence. Comme sur celle de ces femmes et ces hommes atteints par cette même affection.
Annie, je sais ce que vous avez vécu. En effet, par plusieurs fois, il m'a été donné de partager le quotidien de ces malades. Et à chaque fois, une sorte de malaise m'a envahi au plus profond de mon être. Car, on se découvre alors témoin impuissant d'une histoire qui s'efface et de tant de lignes gommées... Qu'il est dur d'assister à un naufrage et de rester au loin, en simple observateur ou de ne pouvoir retenir cette gomme glissant sur quelques mots d'abord, puis sur des pans entiers de vie, ensuite. Petit à petit, le noir se fait ; lente descente aux enfers où l'oubli est roi et où il nous est impossible de faire barrage.
Ce soir, que pleure-t-on au juste ? La comédienne qui s'est en allée ou la femme emportée par Alzheimer ? Pour tout vous dire, je n'ai pas tellement de souvenirs de vous, si ce n'est quelques bribes et la mémoire de votre voix éraillée. Voire de votre chevelure que je me rappelle rousse (?). La famille du cinéma hexagonal, quant à elle, a meilleure mémoire et vous regrette. Parce que vous étiez une Gueule, parce que vous aviez une gouaille et une fraîcheur inoubliable. Et parce que vous faisiez partie de notre environnement à tous ; comme un membre de la famille en somme. Voici pourquoi tant de gens sont émus, ce soir.
"Partir, c'est mourir un peu", écrivait Alphonse Allais. On pourrait le reprendre en ajoutant: "Oublier, c'est mourir beaucoup".
Je vous embrasse, chère Annie.
Avec mon meilleur, et indélébile, souvenir.
Un cynique un peu gêné.