Une grand-mère c’est la bibliothèque de la famille, le partage entre génération.
Ma grand-mère m’impressionnait beaucoup, très grande et mince, toujours bien droite, elle était toujours vêtue de noir car l’existence ne l’avait pas épargnée. Je ne l’ai jamais vue habillée autrement que dans cette couleur. Autrefois les femmes portaient le deuil durant des mois, elles ont connu les deux guerres, et les morts se succédant certaines le portaient à vie comme le fit ma grand-mère.
Autrefois, pour les reines la couleur du deuil était le blanc.
Anne de Bretagne a été la première reine à porter le deuil en noir, imitée par Catherine de Médicis puis par Marie de Médicis et Anne d'Autriche.
Je passais toutes mes vacances scolaires dans le Morbihan chez Grand-Mère comme nous l’appelions avec respect mes cousines et moi. Nous habitions en Normandie, le voyage pour arriver en Bretagne était long car le train à banquettes de bois s’arrêtait dans toutes les petites gares. Quelle aventure ! Cette aventure commençait pour moi à l’arrivée dans le char à banc conduit par mon oncle qui nous attendait à la gare de Vannes.
Ma grand-mère me fascinait malgré son aspect sévère. Il n’y avait pas de place à la tendresse dans l’emploi du temps de ce personnage. L’enfant choyée que j’étais par mes parents, ma grande sœur et mon grand frère en a souffert. Pas de bisou pour aller au lit mais un impératif « da gousket » = allez au lit ! Nous ne nous le faisions pas dire deux fois mes cousines et moi, on escaladait les hauts lits avec agilité. Une fois là-haut on se fourrait sous le gros édredon rouge bordeaux dans des draps de lin épais. Que de fous rires étouffés !
Les dimanches et jours de fête l’édredon était recouvert d’une housse de dentelle blanche. C’est fou ce que ce détail a pu me marquer tout comme le dimanche où nous nous rendions à la messe en char à banc. A l’église un banc nous était réservé à droite du côté des femmes. La messe terminée à la boulangerie ma grand-mère achetait toujours un Paris-Brest pour le dessert et des craquelins pour le goûter. En semaine nous avions droit à de gigantesques tartines de pain au beurre salé d’un jaune soleil accompagnées d’un carré de chocolat. Un et pas deux ! Je me souviens de ces belles tartines, mes cousines et moi les croquions à belles dents au retour de nos escapades à travers champs ou en bord de mer. Que de kilomètres nous avalions à pied ou à bicyclettes empruntées à la famille, moi j’héritais toujours de la vieille « bécane » de Mimile le domestique. Mimile qui nous faisaient danser sur ses sabots de bois ! Que de souvenirs simples dans un temps où nous n’avions ni télévision, ni jeux électroniques, ni ordinateur !
Une fois par mois Grand-mère recevait les amis et les voisins pour la veillée selon la coutume et nous les enfants avions le droit d’y assister. Par contre quand c’était le tour des autres nous restions à la maison.
J’aimais regarder ma grand’mère dénouer son « chignon de danseuse » laissant ses cheveux d’un blanc neigeux lui tomber jusqu’ aux chevilles. La couleur de ses cheveux faisait ressortir la couleur de ses beaux yeux bleus, mais aussi sa peau burinée témoin inexorable du temps qui ne lui a pas été confortable.
Veuve très jeune et maman de 4 enfants, elle a su gérer ses deux fermes et ses terres qui s’étendaient sur plusieurs communes. Elle a su porter le nom de la famille très haut et était admirée et respectée de tous.
Sa devise, devenue nôtre : « Je plie mais ne romps point », comme le roseau de la fable. J’aurais aimé porter le nom de famille de ma grand-mère maternelle mais cela ne se pouvait pas.
Rozo = Surtout porté dans le Morbihan, c'est un dérivé du breton ros, roz (= tertre couvert de bruyère ou de fougères, souvent au-dessus de la mer). On trouve également le nomRozo dans les Ardennes, où son sens est plus incertain : peut-être le nom de personne germanique Rotzo (racine hrod = gloire).
Nos lointains ancêtres étaient des marins espagnols.
De ma grand’mère j’ai hérité l’amour de la nature, des fleurs, des repas en famille, de la belle vaisselle, mais surtout elle a appris aux femmes de la famille à se battre dans la vie sans se plaindre.
Je ne suis pas cette grand’mère là austère, habillée de noir, l’’époque n’est plus la même. Par contre j’ai copié son chignon que je ne porte pas sur la nuque comme elle mais bien haut sur la tête.
Après mes filles ce sont mes petites filles qui maintenant m’empruntent un vêtement, ou mon « fitbug ». Nous aimons nos virées « filles » à Saint-Brieuc ou à Brest ! On part pour la journée écumant les magasins de déco et de fringues ! J’adore …
Je disais à mes enfants alors qu’ils étaient à peine mariés, dépêchez-vous de me rendre grand-mère, je ne veux pas être une vieille mémé pour mes petits-enfants !
Grand-mère de cinq petits enfants âgés de 17 à 12 ans je ne me sentais pas trop vieille pour eux. Mais quand nous est arrivé Mathieu il y a deux sans crier gare, je me suis dit que j’avais intérêt à faire attention à moi si je ne voulais pas devenir une vielle « mémé ringarde ». Quand Mathieu aura 20 ans j’aurais quel âge ? Il faudra bien assumer ! Je n’aimerais pas qu’il me regarde comme un dinosaure.