Journée de la gentillesse, je viens de lire un article que je vous livre dans son intégralité.
Je compte sur vos commentaires.
Journée de la gentillesse : et pourtant, c'est la méchanceté qui paie dans notre société: Temps de lecture : 5 minutes
Par Fatima Aït Bounoua
Prof de Lettres modernes
LE PLUS. Ce mercredi, c'est la Journée de la gentillesse, instaurée depuis cinq ans par "Psychologies magazine". L'occasion d'être aimable, serviable, souriant... autant d'attitudes qui sont aussi bien souvent associées à la faiblesse et à la naïveté. C'est que notre société valorise de plus en plus la méchanceté, notamment par le biais de la publicité, déplore Fatima Aït-Bounoua, professeur de français dans un collège de Seine-Saint-Denis.
La dernière campagne de pub de Kinder Bueno
"Mercredi 13 novembre, c’est la Journée de la gentillesse". Du moins, c’est ce que m’annonce un mail d’Interflora me proposant de la fêter en offrant un bouquet à mes proches… Mais si la gentillesse à SON jour, aussi commercial que la Fête de voisins, on ne peut que constater que le reste de l’année, elle perd du terrain.En effet, il semblerait que, médiatiquement, c’est la méchanceté qui soit rentable.
La méchanceté, une attitude à la mode
"Si bon qu’on en deviendrait méchant" ; "L’enfer, c’est moi" : il suffit de se promener pour croiser ces slogans sur d’immenses affiches et ceux qui prononcent ces phrases ne sont pas d’horribles personnages mais, bien au contraire, une adorable grand-mère, d’une part, et une belle femme à l’air espiègle, d’autre part.
Apparemment, la méchanceté n’est plus une faiblesse honteuse, une absence de maîtrise de soi, mais, bien au contraire, une attitude à la mode, valorisée et valorisante.
Or ce message me gêne un peu. Non pas pour des raisons morales, mais plus pour des raisons sociales de vie en commun. Demander aux adolescents d’être gentils, obéissants et travailleurs en classe, alors qu’affiches, slogans, séries et clips publicitaires prônent l’inverse, c’est un paradoxe qui, après nous avoir fait sourire, finira, sans doute, par nous poser des problèmes dans l’éducation et, par ricochets, dans la société que nous construisons.
Le gentil est un imbécile ou un frustré
La nouvelle tendance publicitaire est, semble-t-il, de prôner la méchanceté. Il ne s’agit plus de mettre en scène un "méchant" face au "gentil", d’une façon manichéenne, mais bien de réveiller la part de méchanceté qui sommeillerait en chacun de nous.C’est l’arrière-plan judéo-chrétien, notamment celui des péchés capitaux et du jardin d’Eden, qui est convoqué pour être tourné en dérision ou détourné.
Le "péché" n’apparaît plus seulement comme une transgression jouissive mais fautive, avec les publicités pour les chocolats dévorés en cachette par exemple, mais bien comme un comportement positif. La publicité a toujours joué sur la transgression, ce qui est étonnant désormais, c’est qu’il n’est plus vraiment question de culpabilité.
Au contraire, transgresser deviendrait tellement cool que c’est l’autre, le gentil, celui qui respecte les règles, qui passe pour un imbécile ou un frustré malheureux.
Le nouveau crédo : transgresser sans culpabiliser
Selon l’imaginaire véhiculé dans ces pubs, la transgression et la méchanceté seraient donc des signes d’affirmation de soi, d’assurance et de modernité.
C’est le cas notamment pour Kinder Bueno qui s’auto-parodie et va à rebours de son idée précédente : on passe de la convoitise maîtrisée finissant en partage, avec Tsonga, à l’image de l’envie assumée qui finit en dégustation individuelle. Même si le verbe est au conditionnel, la métamorphose est là. Kinder Bueno nous souffle, avec une image de gentille mamie : "Si bon qu’on en deviendrait méchant". L’image de la vieillesse connotant habituellement la sagesse, la bonté et le partage est totalement inversée avec cette malicieuse gentiment égoïste. Le pronom impersonnel "on" nous invitant à nous identifier à elle : si même elle craque, nous aussi. Ce n’est rien, me direz-vous, l’antiphrase est amusante.
Oui, mais quelque chose a changé. Quand Orangina Rouge mettait en scène un "méchant" qui répondait : "Paaaaaarce que !" à la question "Pourquoi est-il aussi méchant ?", c’était amusant car il jouait sur un autre registre : celui de l’hyperbole. On était encore dans la distance avec un méchant de conte à qui le spectateur n’était pas sommé de s’identifier.
Aujourd’hui, c’est différent, la méchante, c’est vous ! Comme l’indique le "moi" de la pub Kookaï invitant à l’identification de la consommatrice avec l’égérie infernale. La belle actrice clamant, métaphoriquement, "L’enfer, c’est moi" propose un jeu concours qui permet aux consommatrices de gagner un shopping illimité en racontant leurs meilleurs péchés…
Cette parodie de confession publique est représentative car elle inverse les valeurs. En racontant ses pêchés, on ne vient pas les expier, par culpabilité, mais les partager fièrement pour en être récompensé par un cadeau. Cette confession 2013 dit bien que si la référence à une imagerie chrétienne est là, c’est pour la tordre et jouer sur l’idée d’une "méchante" qui s’assume totalement et n’en est que plus désirable.
Un indicateur social intéressant
Ce n’est pas grave, ce n’est que de la pub, me direz-vous… C’est vrai, l’objectif des pubs est de flatter nos pulsions pour nous encourager à consommer. En cela, ces publicités ne font que leur travail. Mais la publicité a toujours été un indicateur social intéressant et force est de constater que la figure du "gentil" est dévalorisé alors que le méchant apparaît comme celui qui a tout compris.
Les stars d’un jour, celles qui créent un "buzz" éphémère, sont souvent celles qui jouent sur le thème de la méchanceté. A l’image de Justine, de la dernière saison de "L’Amour est dans le pré", qui, sur son compte Twitter, insultait les autres candidats et affirmait fièrement sa position de peste avec la formule : "Vous allez adorer me détester".
De même, les chroniqueurs dont les médias parlent le plus sont ceux qui, sous le prétexte d’être francs, lucides et dire "tout haut ce que les Français pensent tout bas", franchissent quotidiennement la limite entre humour noir et méchanceté gratuite au nom de l’intérêt médiatique que rapportera leur provocation.
Enfin sur Internet, non seulement des commentaires injurieux pullulent anonymement et librement sous toutes les vidéos et faits-divers, mais certains sites se spécialisent dans l’exploitation de nos plus bas instincts, avec notamment des sites de "porno-vengeance" où, pour humilier publiquement son ex femme ou ex mari, l’internaute peut poster une vidéo très intime de la personne en question, ou encore des sites publiant de violents "happy slapping".
La gentillesse, subversive parce que trop rare
Le "gentil", de son côté, semble être limité à la formule familière : "Trop bon, trop con". Les magazines et les livres de développement personnel multiplient les articles pour nous aider à arrêter d’être gentil comme d’autres arrêtent de fumer.
Dans ces articles, la gentillesse n’est pas associée à la réussite et à l’épanouissement personnel mais, au contraire, à une faiblesse, à l’exploitation par les autres, à la tristesse d’une vie qu’on passe à "se faire avoir" ou à l’hypocrisie.
Dans la rue enfin, dites "bonjour" dans le métro parisien, proposez à une personne de l’aider à porter sa valise et le premier mouvement sera celui de l’étonnement, voire de la suspicion : "Qu’est qu’elle /il veut ?" On peut le comprendre, les Parisiens sont tellement sollicités par des fausses gentillesses, des approches souriantes pour vendre un produit ou demander un service, que la gentillesse gratuite, celle qui, spontanément, nous pousse à aider quelqu’un, est perçu comme étrange voire impossible. Tout se passe comme s’il fallait forcement une intention derrière ce geste, un but égoïste, financier ou sexuel, et non aider l’autre tout simplement.
Alors à quand la revalorisation des gentils ? Refaire de la gentillesse une notion "in" et "cool" s’avère être difficile dans nos sociétés individualistes… Quand on parle de ces valeurs, on nous taxe de "bisounours" et on nous enferme dans une "bien-pensance" ridicule.
Pourtant, en 2013, c’est finalement la gentillesse qui devient politiquement incorrecte et subversive, car avoir le courage de rester bon, malgré tout, c’est sans doute cela être un Homme. La gentillesse, la politesse, le respect, l’altruisme : toutes ces choses qui semblent être démodées sont pourtant essentielles socialement voire vitales.
Il est nécessaire de ne pas prendre notre méchanceté et notre cruauté à la légère car comme le demandait Jean Rochefort, sur le plateau du "Grand Journal", le 24 octobre 2013 : "Nous sommes tous possiblement des monstres. (..) Il faut faire gaffe à nous ! De grandes boucheries peuvent démarrer sur un rien…"