Cette nuit-là, pendant de longues heures, je restai immobile, méditant sur chacune des paroles entendues, et m'efforçant de combiner un plan d'action pour l'avenir.
VI
Les Thugs ! J'avais entendu parler des féroces fanatiques de ce nom qu'on trouve dans les régions centrales de l'Inde, et auxquels une religion détournée de son but présente l'assassinat comme l'offrande la plus précieuse et la plus pure qu'un mortel puisse faire au Créateur.
Je me rappelle une description que j'avais lue dans les œuvres du colonel Meadows Taylor, où il était question du secret des Thugs, de leur organisation, de leur foi implacable et de l'influence terrible que leur manie homicide exerce sur toutes les autres facultés mentales et morales.
Je me rappelai même que le mot de roomal, — un mot que j'avais vu revenir plus d'une fois — désignait le foulard sacré au moyen duquel ils avaient coutume d'accomplir leur diabolique besogne.
Miss Warrender était déjà femme quand elle les avait quittés, et à en croire ce qu'elle disait, elle qui était la fille de leur principal chef, il n'était pas étonnant qu'une culture toute superficielle n'eût pas déraciné toutes les impressions premières ni empêché le fanatisme de se faire jour à l'occasion.
C'était probablement pendant une de ces crises qu'elle avait mis fin aux jours de la pauvre Ethel après avoir soignement préparé un alibi pour cacher son crime, et Copperthorne ayant découvert par hasard cet assassinat, cela lui avait donné l'ascendant qu'il exerçait sur son étrange complice.
De tous les genres de morts, celui de la pendaison est regardé dans ces tribus comme le plus impie, le plus dégradant, et sachant qu'elle s'était exposée à cette mort d'après la loi du pays, elle y voyait évidemment une nécessité inéluctable de soumettre sa volonté, de dominer sa nature impérieuse lorsqu'elle se trouvait en présence du secrétaire.
Quant à Copperthorne, après avoir réfléchi sur ce qu'il avait fait et sur ce qu'il comptait faire, je me sentais l'âme pleine d'horreur et de dégoût à son égard.
C'était donc ainsi qu'il reconnaissait les bontés que lui avait prodiguées le pauvre vieux.
Il lui avait déjà arraché par ses flatteries une signature qui était l'abandon de ses propriétés, et maintenant, comme il craignait que quelques remords de conscience ne modifiassent la volonté du vieillard, il avait résolu de le mettre hors d'état d'y ajouter un codicille.
Tout cela était assez canaille, mais ce qui semblait y mettre le comble, c'était que trop lâche pour exécuter son projet de sa propre main, il avait à mis à profit les horribles idées religieuses de cette malheureuse créature, pour faire disparaître l'oncle Jérémie d'une façon telle que nul soupçon ne pût atteindre le véritable auteur du crime.
Je décidai en moi-même que, quoi qu'il dut arriver, le secrétaire n'échapperait point au châtiment qui lui était dû. Mais que faire ?
Si j'avais connu l'adresse de mon ami, je lui aurais envoyé un télégramme le lendemain matin, et il aurait pu être de retour à Dunkelthwaite avant la nuit.
Malheureusement, John était le pire des correspondants, et bien qu'il fût parti depuis quelques jours déjà, nous n'avions point reçu de ses nouvelles.
Il y avait trois servantes dans la maison, mais pas un homme, à l'exception du vieil Elie, et je ne connaissais dans le pays personne sur qui je puisse compter.
Toutefois, cela importait peu, car je me savais de force à lutter avec grand avantage contre le secrétaire, et j'avais assez confiance en moi-même pour être sûr que ma seule résistance suffirait pour empêcher absolument l'exécution du complot.
La question était de savoir quelles étaient les meilleures mesures que je devais prendre en de telles circonstances.
Ma première idée fut d'attendre tranquillement jusqu'au matin, et alors d'envoyer sans esclandre au poste de police le plus proche pour en ramener deux constables.
Alors je pourrais livrer Copperthorne et sa complice à la justice et raconter l'entretien que j'avais entendu.
En y réfléchissant davantage, je reconnus que ce plan était tout à fait impraticable.
Avais-je l'ombre d'une preuve contre eux en dehors de mon histoire ?
Et cette histoire ne paraîtrait-elle pas d'une absurde invraisemblance à des gens qui ne me connaissaient pas.
Et je m'imaginais bien aussi de quel ton rassurant; de quel air impassible Copperthorne repousserait l'accusation, combien il s'étendrait sur la malveillance que j'éprouvais contre lui et sa complice à cause de leur affection réciproque ; combien il lui serait aisé de faire croire à une tierce personne que je montais de toutes pièces une histoire pour nuire à un rival ; combien il me serait difficile de persuader à qui que ce fut que ce personnage à tournure d'ecclésiastique et cette jeune personne vêtue à la dernière mode étaient deux animaux de proie associés pour chasser.
Je sentais que je commettrais une grosse erreur en me montrant avant d'être sûr que je tenais le gibier.
L'autre alternative était de ne rien dire et de laisser les événements suivre leur cours, en me tenant toujours prêt à intervenir lorsque les preuves contre les conspirateurs paraîtraient concluantes.
C'était bien la marche qui se recommandait d'elle-même à mon caractère jeune et aventureux.
C'était aussi celle qui semblait la plus propre à amener aux résultats décisifs.
A SUIVRE..... C'est long, presque un roman mais si passionnant.
Gros bisous et à demain pour la suite.
biz à+