Il la revit par terre, elle était devenue raide. Tout était figé. Chaque ride, chaque pli, chaque cheveu avaient plus de contraste. Sa fine bouche lançait un soupir désespéré et interminable, ces yeux étaient « attentifs » comme l’avait remarqué Sylvain. Restait à deviner à quoi. Le légiste, qui s’appelait Bruno, était accroupi et regardait la blessure béante avec attention. Il avait une blouse blanche sous laquelle on pouvait distinguer un des nombreux maillots d’équipe de rugby dont il faisait la collection. C’était un homme plutôt sérieux, vérifiant deux fois plutôt qu’une ses diagnostics. On aurait pu penser qu’il allait lécher la blessure tellement il était près. Il n’avait pas entendu Sylvain arriver tant il était occupé à sa tache. Le sang par terre reflétait un peu son visage. On discernait facilement ses lunettes rondes vissées sur son nez. Le sang donnait à son regard un coté albinos des plus inquiétants.

            Il se releva d’un coup, sans regarder en direction de Sylvain et dit

-          « Net, franc, et sans aucune hésitation » dit-il sur un ton jovial. On aurait dit qu’il parlait tout seul.

-          C’est justement ce qui me surprend. Normalement, ce genre de méthode pour se suicider donne un résultat différent. Plusieurs entailles hésitantes, qui ne tranchent rien d’essentiel, et une plus grosse, à peine suffisante pour couper la veine. Il gesticule en imitant les gestes. Il ne semble pas avoir vu Sylvain qui regarde avec attention la femme. Il se dit qu’il n’a même pas regardé son nom sur la porte d’entrée et a envie de se gifler pour ça. Il déteste l’omission, dans son travail, c’est primordial de ne rien oublier.

-          « En plus, elle n’a pas bronché, même pas un sursaut apparemment. Elle s’est regardée se vider sans bouger le petit doigt. Comme si on achetait une baguette de pain. Mais je ne peux conclure qu’à un suicide, pour l’instant, Sylvain. » Il sourit un peu pour montrer qu’il l’avait bien entendu arrivé. Et elle s’y était préparée, ce n’était pas un coup de sang. Cet abruti rigole de son humour morbide mais c’est son jour de chance, Sylvain ne l’écoute pas.

Il la regarde et sent les larmes lui monter aux yeux. Sa sensibilité vient de reprendre le dessus, comme toujours. Son cœur subit des pressions de toutes parts. Le vide, la tristesse, cet appartement, tout le fait se sentir minable. Il repense à ce dragon qui, encore une fois a bouffé l’âme en peine. Personne ici ne sait qui elle est. Morte dans l’indifférence. Le pire, c’est le manque flagrant d’hésitation dans son geste. Rien dans ce monde ne la fait hésiter. Rien ne l’a détourné de la Mort. Aucune sensation n’est venue la sauver. Il entend d’un coup rigoler, ce qui le met hors de lui.

-          Qu’est-ce qui te fait rire, toi ! Une femme le bras tranché ! Tu trouves ça drôle ?! Veux-tu que je tranche le tien pour que je puisse rigoler avec toi ! La prochaine étape de ton humour, c’est quoi, le cannibalisme ! Pauvre con, donnes-moi tes conclusions au lieu de rire comme…

-          Calmes- toi Sylvain ! Excuses- moi ! J’ai merdé, c’est vrai, ok ! Ok ?! Si on avait pu le regarder attentivement, on l’aurait vu trembler. Sa voix était celle d’un gamin

-          Donne moi son nom pour commencer ! Il était furieux mais se contenait tant bien que mal.

-          Je ne l’ai pas Sylvain, je n’ai pas fait attention en arrivant. Ces tremblements devenaient presque visibles.

-          Elle s’appelle Laetitia Froyer dit Yanis au travers de la porte.

Les frissons lui montèrent dans le dos. Il ne sut pas exactement pourquoi mais connaître son nom, c’était comme l’intégrer à sa famille, c’était comme s’il avait perdu un être cher. Il lutta pour se calmer, il avait déjà dépassé les bornes avec le légiste, ce n’était pas la peine d’envenimer les choses. Il remercia Yanis et s’excusa brièvement auprès de Bruno. Celui-ci se détendit alors et repris son inspection minutieuse. Sylvain laissa des instructions à l’équipe sur place et retourna à son bureau. Sur la route, il se sermonna. Il n’aimait pas quand les nerfs prenaient le pas sur la raison. Cela ne lui amenait jamais rien de bon, que ce soit au travail ou dans sa vie privé. Il arriva à son bureau vers 10.00. Il aurait le temps de souffler, d’écrire son rapport en attendant les informations qu’il avait demandé à Yanis et à Eric.

            Le temps passa plutôt vite. Il vit entrer Eric, son visage toujours impassible, annonçant les nouvelles une à une comme les feuilles mortes tombent en automne. Il lui racontait, entre autre, qu’il avait retrouvé la trace d’un bloggeur régulier qui se faisait appelé Andromède et qui apparemment, s’entendait bien avec la « victime ». Il devait arriver d’ici 5 minutes. L’avancée technologique permettait cette rapidité. Les numéros de téléphone avait été remplacés par des adresses internet fixes ou adresse IP comme on disait. Ce qui simplifiait beaucoup de choses pour la police, comme pour les truands…Il avait aussi retrouvé une autre personne grâce à Messenger qui allait être là aussi dans 5 minutes. La journée s’annonçait bien, il allait pouvoir se défouler tranquille sur 2 personnes qui n’y étaient pour rien. Mais ça, il ne le savait pas encore. Sa journée était loin d’être finie et loin d’être de tout repos.

-          Le premier qu’on va interroger s’appelle Florent Bouic. Il est inconnu de nos services, il n’a même jamais eu d’amende. Le deuxième est Andromède ou Jean Narton. Déjà arrêté pour fraude d’identité sur le net. Je pense qu’on devrait commencer par Mr Bouic, j’ai comme l’impression qu’ils se connaissent, Sylvain. Dans la correspolndance que j’ai lu sur le PC, il y a des coïncidences troublantes au niveau de leurs questions et de leurs réponses.

 Sylvain acquiesça. Il avait appris à faire confiance à ses hommes. Il aimait bien écouter les rapports d’Eric, il avait toujours l’impression que celui-ci était certain de ce qu’il avançait.

Sylvain et Yanis rentrèrent dans la salle d’interrogatoire où se trouvait Florent Bouic. Sylvain le dévisagea et il fit de même. L’homme était assez grand, plutôt mignon, il était d’une blancheur laiteuse, on sentait bien qu’il ne sortait pas souvent de chez lui. Ces doigts étaient longs, comme ceux des pianistes. Ces cheveux étaient courts avec des mèches blanches, ce qui le rendait étrange, livide. Ces yeux étaient d’un bleu vif, il ressortait littéralement. On aurait dit qu’ils étaient remplis d’un liquide. Ils suintaient le bleu. Sylvain était presque mal à l’aise en sa présence. Cet homme dégageait une aura aussi claire qu’obscure, il représentait le bien comme le mal. Il n’arrivait pas à le cerner et cela l’exaspérait. Ses habits, eux, étaient communs : jean, tee-shirt, baskets. Rien ne pouvait faire penser à Sylvain que ce type était quelqu’un d’ordinaire.