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Il était entraîné, c’est vrai, mais aussi il avait un don pour le détail, pour construire dans son imaginaire la scène du Crime-suicide. Il arriva donc devant la porte de l’appartement et fit comme d’habitude, il prit des photos avec sa mémoire et ses yeux scrutateurs.
Je pousse la porte et je sens immédiatement cette odeur froide. Tout est froid ici : la température, les couleurs, l’ambiance. J’aperçois au loin 2 de mes hommes. Ils me parlent mais je ne les entends pas, comme d’habitude. Je suis en mode Identification. L’entrée tout d’abord me crie la solitude. Aucune photo n’est accrochée sur les murs, aucune babiole ne traîne à l’entrée. Tout est rangé, propre, ordonné. Le miroir de l’entrée est constitué d’un cadre bleu fade, et d’une vitre bleutée. Les murs sont tapissés d’un papier peint turquoise délavé, couleur de larmes. Sur le meuble (à chaussures ?) de l’entrée se trouve le téléphone/interphone. Il y a 2 messages comme l’indique la télévision que je vois a peine dans la pièce plus loin a droite, là où discutent mes 2 hommes. Je suis en fait dans une pièce vide de toute vie, comme sa propriétaire. J’écouterai ces messages plus tard, ce n’est pas ce qui m’intéresse pour le moment. Cette pièce m’en dit long déjà sur la personnalité de cette femme. Je décide de zapper les autres pièces pour l’instant afin d’aller directement dans la salle de bain.
Oui, les suicidés font souvent ça dans leur salle de bain, c’est comme ça ! Comme s’il voulait se nettoyer de quelque chose, enlever une couche de culpabilité. Je pense qu’ils se disent inconsciemment que comme ça, si ils se ratent, ce sera plus facile à nettoyer. C’est vrai que c’est plus facile à nettoyer ! Ca me dégoûte à chaque fois davantage, ces suicides. Des gens sans aide, sans but, sans espoir. Ils ont perdu l’amour jusqu'à celui d’eux mêmes. Les voisins les ont oubliés, ou pire jamais connus. Au travail, ils n’ont jamais été respectés. Leurs amours n’ont été que sexuels. Leurs familles sont incapables de ressentir leurs détresses, leurs peurs, leurs envies.
J’entre dans la salle de bain, si l’entrée était froide, celle-ci est glacée. Un miroir orné d’inox trône au dessus du lavabo, sans vie. Gris et blanc. Vraiment des couleurs joyeuses, faut-il être aveugle pour ne pas s’en rendre compte. Pas de produits de beauté, juste un parfum, n°19 de Channel. Lui aussi sa couleur semble grisâtre. Les peignes, la brosse à dent, le porte-savon, le porte brosse à dent, tout est inox et blanc. On dirait une morgue, et elle a déjà une cliente. La lumière n’est pas très forte dans cette pièce, des lampes a technologie Oled, diffusent une lumière tamisée très légèrement bleuté. Je la voit elle. Une chose me choque immédiatement, c’est son attitude, elle semble attentive. Attentive à quoi ? Je grave la question. Comme tous les êtres morts, elle est pâle. Son visage est doux, ses lèvres fines, elle a de long cheveux (gris) brun. Elle regarde son bras dans lequel apparaît sa lésion mortelle, faite au scalpel qu’elle tient dans l’autre main, elle a bien appuyé car même les tendons de ses doigts semblent coupés. Son sang qui s’est répandu abondamment vient mettre une touche de gaîté dans ce décorum mortuaire. Elle est adossée au mur, devant sa baignoire, dans laquelle un bain avait dû couler. Elle n’a pas criée, elle n’a pas eu peur, ce qui est rare pour un Crime-Suicide.
J’en ai assez vu pour le moment, je prends donc le chemin de ce qu semble être le salon, où se trouvent mes 2 collègues. Il est un peu différent des deux autres pièces car celui-ci est vert de gris, délavé certes mais c’est une couleur qui me surprend, elle me parait moins triste. Cela doit être la pièce à « vivre ». Les meubles décorant cette pièce sont en vert pâle, avec des inserts inox ce qui donne un peu de peps. Mes 2 collègues sont en grande discussion. Je les interromps.
-Avez-vous remarqué quelque chose ? Je les dévisage pour voir si ils n’auraient pas raté quelque chose comme cela peut arriver parfois. Yanis est grand, de type arabe, il a des lèvres fines, une moustache et une barbe de deux jours. Ces yeux sont grands et il n’est pas rare qu’il remarque des détails que je n’aurais pas vus. Il est fin et ses cheveux sont très courts. Sont défaut, c’est qu’il manque de rigueur sauf pour son agenda concernant ses conquêtes. Par contre, la manière dont il s’habille est un hymne à la tolérance. Tout d’abord ses chaussures, d’un genre que je ne pourrais jamais mettre. Elles sont effilées, noir et rouge vernis. Un pantalon en jean fin qui moule presque ses jambes avec des broderies kabbalistiques. La touche finale est son pull rose. Je sais que la mode est androgyne depuis un an environ mais quand même. Il s’agit bien d’une fashion victime. Eric, quant à lui est moins original, c’est notre homme de terrain. Il a du nez pour les émotions, les situations mais n’en a pas eu pour sa femme qui s’est tirée avec son pognon. Il fait beaucoup d’heures à cause de sa solitude. Il est un peu plus grand que moi, plutôt un athlète. C’est un homme de terrain, les habits qu’il porte sont idéals pour notre métier à la différence de Yanis.
-On a arrêté la musique, Sylvain dit Yanis. Ils voient aussitôt que ma tension monte. Je déteste qu’on modifie la scène du crime !
- Mais j’ai noté la chanson qui passait en boucle, c’est du Rap « Le Coup rage » du chanteur Toxic ajouta Eric. Bon, tout allait bien alors, je pourrais reconstituer ce détail plus tard.
-« Avez-vous regardé les messages sur le répondeur ? » Ils n’avaient pas intérêt, pensais-je
- « Non, on t’attendait » me répondit Yanis en me souriant.
Ils regardèrent tout les 3 les 2 messages figurant sur le répondeur. Yanis et Eric allaient mourir dans moins de 2 ans mais aucun d’entre eux ne le savait encore. Le premier message était d’un certain Stéphane. Il demandait s’ils pouvaient enfin se voir car il en avait assez de regarder sa webcam chez lui (ce qu’il avait quand même dû faire pour laisser le message) et qu’il voulait Enfin la rencontrer, qu’il pensait qu’ils se connaissaient suffisamment aujourd’hui pour ça.
Le deuxième message était de son père qui lui disait qu’il se faisait du souci pour elle car il ne l’avait pas vu souriante depuis trop longtemps. Quand Sylvain vit le père s’exprimer, il sut tout de suite qu’il ne devait pas être en cause pour le Crime-Suicide de sa fille, qu’il fallait donc chercher ailleurs.
Sylvain demanda à Eric de bien fouiller tout l’appartement, et surtout l’ordinateur où apparemment, elle devait passer du temps. Il demanda aussi à Yanis de s’occuper de l’enquête de voisinage même si pour lui, les voisins n’existaient plus depuis longtemps. Sylvain retourna ensuite vers la scène du Crime-Suicide afin d’avoir l’avis du médecin légiste mais si il savait déjà ce qui l’avait tué. La solitude, la détresse, le peu d’amour reçu, et le trop plein à donner. C’était souvent comme ça, c’était toujours comme ça.