Mon frère me regarde et je lis la panique au fond de ses yeux, je le sens tiraillé entre la volonté de ne rien dire à ma mère, et l’urgence qu’il ressent de la situation. Quant à moi, je retourne doucement à mon bureau maintenant que ça va mieux. Je me dis que ce n’est pas possible que je ne me sois pas vu dans le miroir tout a l’heure, qu’il doit exister une explication raisonnable a cela. Tout du moins je m’efforce a le croire tandis que je rejoint ma chaise au ralenti, j’ai déjà oublier mes frères et ma mère. Ils ne sont plus que fantômes évoluant autour de moi. Je prends donc mon cahier afin de réviser les exercices vus en cours. Je m’inquiète, toutes les pages sont vides. Je recommence à regarder. Rien, même pas mon nom et prénom sur la première page. Je suis affolé, entre ma tête que je ne vois plus et les cahiers qui n’ont plus de contenus, cela commencent à être effrayant. Ma tête recommence à tournoyer, cette fois ci dans toutes les directions a la fois. Pas un son ne sort de ma bouche, je suis mort ? Ma tapisserie devient jaune pale. Je me lève d’un coup, beaucoup de monde remonte en travers de ma gorge. Je commence a vomir mes tripes sur ce bureau, je me précipite vers les toilettes en contenant au maximum ce qu’il y a dans ma bouche. J’arrive a quelques deux-trois mètres de la porte des toilettes qui est étrangement ouverte. C’est éclairé, je n’en peut plus et essaie de viser au mieux. J’ouvre donc les vannes a fond dans un dernier souffle rauque. Je me vois tacheter les alentours, je me dis « Maman va me tuer ! ».
Le rideau noir se ferme aussitôt et le silence se fait plus profond, je me sens tomber comme de l’eau. Je frappe le sol comme une gouttelette dans un bruit que je ne peux qu’imaginer. Seule certitude, mon sourire niais m’accompagne dans ma chute.
Je me réveil doucement, je suis sur mon lit, pas de gueule de bois mais par contre des gueules en bois me regarde. Sculpté par l’inquiétude, toute ma petite famille me dévisage. Je sens un sourire m’envahir, je le contiens pour faire durer ce moment le plus longtemps possible. J’avoue que c’est tellement rare de se sentir aimé ici que chaque instant passé sous leurs yeux inquiets m’apporte beaucoup de joie. « Ca va Sylvain » demande ma mère, « Oui M’man, je suis désolé d’avoir vomi de partout ». Quand je lui dis ça, les trois statuettes de bois s’observe et modifie leurs traits. « Mais Sylvain, tu n’as pas vomi ! On ta juste retrouvé endormi sur ton bureau…. Tu nous a fait très peur, qu’est ce qui t’es arrivé ? » . Je regarde mon frère Fabien dont le visage de bois semble avoir les plus profonds sillons. A-t-il pleuré, lui, une fois dans sa vie, et pour moi en plus. A-t-il eu peur à ce point pour moi. Peut-être il m’aime alors, peut-être… « Je ne sais pas maman ». « Sylvain je sais parfaitement ce qu’il t’es arrivé ! Ton frère ma tout raconté, mais, bon dieu, a quoi as-tu pensé quand tu as bu ce verre, tu n’as pas de tête ou quoi ! ». Je souris cette fois ci, tout semble normal ici. Fabien se rapproche, sa statue redevient vivante, il me dit dans un souffle court : « Veut tu que je t’épluche des Clémentines », c’est la plus belle attention qu’il n’aura jamais pour moi alors j’accepte. Pendant deux heures, ce soir là il restera a mon chevet en m’épluchant des Clémentines, sans dire un mot mais avec des regrets plein les mains.
Sylvain s’était rappelé de sa première cuite, tout en sirotant un whisky sec. Il aurait bien mangé quelques clémentines aujourd’hui, mais ça faisait bien longtemps qu’il n’en trouvait plus. Jamais, dans sa famille, ils n’avaient été démonstratifs. Il aimait beaucoup son travail, mais avait une vie personnelle des plus moroses. Chacune de ces envies, de ses désirs s’étaient enfuit au fil du temps, ne laissant qu’une trace largement estompée. Il voulait tout mais ne désirait rien. Du coup, le goût pour son travail devenait énorme, ressassant sans cesse les enquêtes en cours. Rejouant les interrogatoires, posant les questions qu’il avait oubliées. Quelquefois, il avait des aventures qu’il voulait sans lendemain. Il ne voulait pas s’embarrasser, se contraindre. Car une vie de couple pour lui, était une vie de contrainte et il n’en voulait plus, il avait assez donné dans le genre. Cela ne l’empêchait pas de penser à la femme parfaite, à l’ange d’exception qui viendrait repeindre sa vie. Celle qui le toucherait au cœur, à l’âme, au plus profond de son être. Celle qui lui donnerait un enfant comme preuve du don de soi. Ce soleil là, s’il existait, n’éclairait en rien ces journées, mais il savait qu’après chaque nuit, un jour se lève. Ce jour là était arrivé. Il allait la croisée ce matin
Sylvain s’était endormi la rage au ventre, son esprit était balayé par le suicide de cette femme, par son visage attentif. Il n’arrivait pas à comprendre ce qui clochait. Il sentait la solution toute proche, mais en même temps, ce qu’on lui avait enseigné sur les suicides jouait contre lui. Les statistiques froides et inhumaines expliquant ces gestes tout aussi glacés, permettaient de déresponsabilisé la société en établissant des faits. Dans un même temps, il fallait trouver des coupables pour tous les accidents. On pourrait certainement bientôt trouver sur les scalpels la mention : « Utiliser cet outil pour se taillader les veines nuit gravement à la santé ». La démocratie atteignait son niveau ultime, proche du totalitarisme, gouvernant jusqu'à nos maux de tête. Pouvant interdire aux arbres de pousser, les rendant responsable de nos chutes. Il ne voulait pas d’une vie comme celle là, régenté par un dictat faussement démocratique. Ces nuits étaient courtes, six heures en moyenne, ce qui lui permettait de profiter pleinement de sa solitude. Il habitait en ville mais son cœur n’était pas ici, il était en haute-loire, le pays de son enfance chérie. Il avait plusieurs fois demandé des mutations là-bas, sans se douter que son aptitude à être bon dans ce qu’il entreprenait n’avait pas joué en sa faveur, bien au contraire. Il ne savait pas que les refus qu’il avait essuyé était du au fait qu’il était trop bien noté pour aller dans un « trou » comme la haute-loire.
Son réveil commençait à tinter au loin, c’était pourtant une sonnerie énergique mais qui avait tout de même du mal à le réveiller tant il partait loin lors de ses nuits. Dix minutes environ étaient nécessaires pour lui faire ouvrir un œil. Ensuite aucune perte de temps. Il se mettait debout immédiatement comme l’aurait fait un robot sans doute, avec toujours la même humeur, le même entrain. Le rituel du matin était simple : il se levait nu, son corps légèrement enrobé était tout de même musclé. Il préparait son café doucement les yeux encore mi-clos. Puis le prenait au salon, avec les chaînes musicales de la télé en bruit de fond. Il aimait ce moment, il se réveillait en déjeunant et était prêt pour sa journée. Il respirait cet air pure en pensant au suicide de la veille, rien ne laissait présager que cela recommencerai dans trois secondes, et que sa vie se faisait emportée vers un bonheur gâché. Le téléphone se mit à sonner
ahhhhhhhhhhhh la famille et surtout les fratries ..............on s'aime autant que l'on se déteste
ton récit me fai penser au mutisme sentimental dans lequel souvent on se laisse enfermer et contre lequel il faut savoir d'élever
étrange...