Le souvenir. Parfois amnésique, parfois nostalgique. Un goût amer, acidulé, ou celui de l’échec cuisant. L’odeur de brûlé. Le souvenir oublie parfois, oui trop souvent il reste vague, vague eau-forte sur un mur, surtout dans un tiroir. Le souvenir dérange aussi, même s’il ne reste que l’écume des saveurs. J’ai parfois cette sensation de ne plus me souvenir, juste de vouloir conquérir l’inconnu, sans plus de chaînes ni de blessures. Ne plus me souvenir, voir les images s’affadir, pâlir, jusqu’à disparaître complètement, jusqu’à ne plus être vraiment qu’une intime partie de moi, enfouie. Alors, au moment où je m’y attend le moins, croyant être redevenue forte, croyant pouvoir mener bataille, et même croyant pouvoir gagner la guerre du haut de mon égo égocentrique sans triste souvenir sournois, je tombe à une vitesse vertigineuse du haut de cette masse d’orgueil putride, du haut de ces faux semblants sordides, je tombe et ma face s’écrase contre le tarmac des souvenirs qui déchirent et éventrent ma mémoire. Des souvenirs qui dévisagent, qui agressent le cœur et le corps tout entier et le cœur comme broyé dans une machine de fer et d’acier, d’argent. Le temps c’est de l’argent, que dire des souvenirs qui n’en valent pas la peine mais vraiment la souffrance, le chagrin et l’errance. Endurer en silence. Les souvenirs se permettent tout, tout ce qu’on n’ose pas imaginer, il n’y a rien de pire, rien de meilleur sans doute. Rien à en dire.
Un grain de sable dans l’engrenage, je me retrouve projetée en arrière oui, si loin, que là-bas, dans ce pays de moisissures que sont les souvenirs, je n’existe pas, je n’existe plus, ce n’est plus moi, c’est une autre que moi qui se tort de douleur, c’est bien moi pourtant, oui c’est moi qui garde le sceau de ses plaies, de ses flétrissures.
Je le sais, elle le sait, nous ne sommes qu’un fade souvenir, sans goût et sans odeur, un souvenir oublié, plongé dans l’obscurité, d’une mémoire marbrée de failles. Nous ne sommes plus rien si nous ne pouvons exister dans le souvenir, mais ils ne se souviennent pas ceux là qui ont tué l’insouciance, non ils ne se souviennent pas ou s’ils se souviennent ce n’est pas dans la souffrance mais dans l’allégresse.
Et alors s’il est doux et fruité le souvenir n’est certainement pas aussi authentique que s’il est regret.
