La priorité, c'est la livraison. Partout dans les grandes surfaces, les fournisseurs se mêlent aux consommateurs. Ils s'empressent de dresser le bilan des rayons, pour réapprovisionner au plus vite et ainsi limiter les pertes de chiffre d'affaires. Il a fallu réagir du jour au lendemain : décharger des dizaines de containers, nettoyer les chambres froides qui avaient été arrêtées, recomposer les rayons... Certaines enseignes ont fait appel à plusieurs dizaines d'intérimaires, d'autres ont choisi l'option des heures supplémentaires.
Une semaine après la réouverture des grandes surfaces, rayons après rayons, les consommateurs relèvent encore des traces du conflit. Plus de charcuterie, peu de plaquettes de beurre, des dates limite de consommation pour la crème fraîche à seulement une semaine de distance... L'approvisionnement en produits frais reste critique, car il a fallu jeter les périmés qui étaient bloqués dans les containers. Et il faut désormais attendre les prochaines livraisons, qui n'arriveront pas avant la fin du mois de mars (on compte trois à quatre semaines entre la commande et la livraison, N.D.L.R.).
Pour les yaourts et les oeufs, produits localement, le risque de pénurie est limité. Mais il reste difficile de contenter tout le monde. « J'ai commandé cinq box, et je n'en ai reçu qu'un » , regrette un directeur de supermarché, qui reconnaît néanmoins la nécessité de répartir la production sur l'ensemble des enseignes.
Retour à l'essentiel
Pour affronter au mieux cette période de transition avant le retour à la normale, Joseph de Jaham, directeur général de Leader Price a choisi de s'appuyer sur la règle des 20/80. « On se concentre en priorité sur les 20% de produits les plus achetés. Ils représentent 80% du chiffre d'affaires. » En clair, sur les 2 500 références habituellement commercialisées, seuls 500 produits sont livrés en priorité.
Pour les produits secs, pas d'appréhension particulière chez Leader Price : le déchargement des containers qui étaient bloqués sur le port se poursuit et devrait suffire. Pourtant, quelques fournisseurs locaux ne tourneraient qu'avec une petite dizaine de références, indique-t-on du côté de Champion. « Pour tout recalibrer dans les rayons secs, il faudra compter un mois » , estiment Aurélie et Marc-Nicolas fournisseurs de la société Clément (épicerie, chocolats, biscottes, gâteaux secs...).
Mais à peine la question du réapprovisionnement sera-t-elle réglée, que s'annonce l'autre challenge : la baisse des prix, à partir du 14 avril. « Les clients attendent déjà et l'on craint la rupture de stocks sur ces produits, indique Antoine Hayot, le chef manager du rayon « produits frais » de Carrefour Dillon. Il faut qu'on réadapte nos carnets de commande, mais ce n'est pas évident pour l'instant d'évaluer les quantités nécessaires. » Dans les supermarchés, le retour à la normale ne devrait donc pas être effectif avant plusieurs semaines.
- Un gros travail de tri sur les produits périmés
En fin de semaine dernière, une centaine de grandes surfaces ont reçu la visite des équipes de la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. « Nous avons vérifié que plus aucun produit, dont la date limite de consommation était dépassée, ne restait dans les rayons et les chambres froides » , explique Jean Tibilan, directeur de la DGCCRF. Ces produits frais, qu'on peut reconnaître grâce à la mention« à consommer jusqu'au » , doivent impérativement être retirés de la vente après la date indiquée, sous peine de sanctions.
En revanche, les consommateurs risquent de trouver dans les rayons des produits (tels que biscotte, jus en brique, etc.) dont la date limite d'utilisation optimale (DLUO) est dépassée. Reconnaissables grâce à la formule « à consommer de préférence avant le » , ils peuvent être vendus et consommés sans risque, après la date indiquée.
Dans les rayons, les consommateurs ont vite pris le réflexe et scrutent attentivement les étiquettes. Même certains salariés des grandes surfaces, devançant les réactions d'une clientèle vigilante, ramènent à la réserve les produits dont la DLUO est passée. Une précaution inutile, estime Jean Tibilan, de la DGCCRF, car ces produits restent sains quelque temps après la date, contrairement aux produits frais où se développent des bactéries.
- Les oeufs rationnés en attendant les containers
L'île ne compte qu'un seul producteur d'oeufs frais. Alors que les containers n'arriveront pas avant la fin du mois, Martinique Aviculture doit donc faire face à une explosion de la demande. La solution pour contenter le plus grand nombre : rationner et livrer plus vite.
« Nous avons 165 000 poules pondeuses, qui permettent de couvrir 60% des besoins en Martinique, détaille Jérôme Dauchy, le directeur financier de l'entreprise. » Grâce à un stock de 500 000 oeufs au début du conflit, l'entreprise avait pu alimenter les petits magasins. Au bout de trois semaines, les stocks avaient fondu, « car en l'absence de viande, les gens se sont beaucoup reportés sur les oeufs » .
Aujourd'hui, Martinique Aviculture fonctionne donc à flux tendu : « 120 000 à 130 000 oeufs sont pondus par jour, mais c'est insuffisant, indique Jérôme Dauchy. Nous sommes obligés de répartir entre les grandes surfaces : elles reçoivent environ 50 à 60% de leur commande. » Face à l'impression de pénurie, les rayons d'oeufs frais se vident donc d'autant plus vite.