4h15. Branle-bas de combat. Nous sommes plusieurs à nous être donné le mot pour l'« opération essence » de ce dimanche matin et l'un de mes amis m'appelle : « Debout ! dépêche-toi ! Les gens se mettent déjà en place pour faire la queue pour l'essence devant la station de Batelière. La file de voiture atteint presque le rond-point ! ».
4h33. Ça y est ! Nous sommes dans la file, pile dans le rond-point juste avant la station de Batelière (sens Schoelcher - Fort-de-France). Il y a déjà 60 voitures avant nous. Une heure et demi d'attente en perspective : la station ouvre à 6h00. Tout le monde est prêt à attendre. Certains ont un casse-croûte, d'autres des magazines et un oreiller pour s'installer (comme moi), d'autres leur ipod, les cd dans la voiture, les cigarettes, ou un(e) ami(e) pour discuter... On est là...
4h52. L'un des conducteurs va à la pêche aux informations : « Les pompistes vont servir dès 6 heures, il y a de l'essence, mais seulement pour 80 voitures. » Aïe. L'inquiétude pointe le bout du nez. On y est, on y reste !
5h02. La file s'est considérablement allongée. Plus de 40 voitures sont désormais derrière nous. Le dernier véhicule se trouve à l'entrée de la résidence Madiana Plage...
5h20. Pas un mouvement. La patience est une qualité que tout le monde a dans cette situation extraordinaire. Un fourgon de gendarmerie passe. Les gendarmes jettent un œil dubitatif sur nous... Hum...
5h30. Un peu d'animation, enfin ! Une voiture passe en direction de Schoelcher, avec deux hommes à son bord. Et tout le monde en prend pour son grade : « Rantré bô kay zot, band' makoumè ! Zot ka tchwé péyi-a, rantré bô kay zot, band isalop ! » Personne ne réagit.
5h45. Les lampadaires s'éteignent. Alléluia ! Le dénouement est proche le jour se lève !
6h17. La station est enfin ouverte... Mais le couperet tombe : il n'y a que du gasoil, et encore, pour 80 voitures. La file se démantèle rapidement. Les heureux demandeurs de gazole se rapprochent en prenant la place de ceux qui, comme mes amis et moi, partent vers une autre station à la recherche de sans-plomb.
6h34. Station de Cluny. Même scénario. Un panneau indique : « Pas de carburant ». Cela ne semble pas décourager les automobilistes déjà en attente, au cas où... Nous, nous choisissons l'option : aller chercher ailleurs. Les garçons baissent les bras mais moi, je continue. Coûte que coûte, il me faut le précieux liquide. Cela fait 10 jours que je n'ai pas pu me ravitailler. L'aiguille tend dangereusement vers le rouge. Je ne lâcherai pas !
6h50. Je suis sur la route de Balata, juste devant la structure d'accueil pour personnes âgées gérée par Marc Séraline. Une longue attente recommence, mais cette fois c'est moins facile, le soleil s'est levé. Il commence à faire chaud.
7h30. Calme plat. La file avance lentement. Les coqs et le voisinage sont bien réveillés. Des bribes de conversations nous parviennent. Ou alors les échos des nouvelles que presque tout le monde écoute dans sa voiture. De temps en temps, les riverains qui reviennent de leurs courses d'appoint nous informent : « Les pompistes servent, oui. Mais il y a tellement de monde ! C'est un bordel. Bon courage ! ». Oui, oui, il en faut je confirme.
8h30. Toujours rien. La file descend lentement, très lentement vers la station... Le rythme est facile à tenir mais tellement agaçant. Démarrer, avancer de quelques mètres, tirer le frein à main, stopper la voiture. 10 à 20 minutes d'attente, et c'est reparti... Ennui, ennui, et la chaleur... On étouffe !
9h20. La pharmacie de Balata est en vue. Oui ! Je croise les doigts. Pourvu que je puisse enfin faire cette satanée essence !
9h30. Ça bloque ! Mais qu'est ce qui se passe encore ?
10h00. La file s'approche de la station, pas parce que les clients ont été servis mais parce qu'ils sortent de la file, ils s'en vont... Quel est le souci ?
Le bouche à oreilles fonctionne. Les pompistes ne servent plus. Mais les raisons ne sont pas très claires. Des jeunes auraient voulu se faire servir dans des jerrycans, ils auraient été irrespectueux. Autre version : Un homme a prétexté que sa femme est enceinte et, du coup, est passé devant tout le monde en exigeant le plein... Pas vérifiable. Chacun s'accroche encore à un petit espoir. Au loin, cela fait bien 15 minutes que des automobilistes discutent mais rien à faire les pompistes font la sourde oreille.
Finalement, certains s'en vont. Moi, je reste !
10h25. Affolement général dans les deux stations de Pont-de-Chaîne ! Rien de grave. Les pompistes de la station Esso servent enfin. Chacun remonte dans sa voiture pour reprendre la route de Balata dans le sens de la montée et se positionner en bout de file. Moi aussi, j'amorce le mouvement, mais quand je vois où elle commence, je laisse tomber. Tant pis. Mon bac est pratiquement vide.
10h45. J'ai juste de quoi arriver à Fort-de-France. Au passage, je jette un œil à la station face à la mairie, elle est prise d'assaut par des piétons armés de leurs jerrycans et par des voitures. C'est fini. J'abdique. Je gare ma voiture dans le parking de mon entreprise. Là elle sera en sécurité au moins. Je vais devoir trouver quelqu'un qui voudra bien me déposer chez moi...
6h30 d'attente pour rien... Un dimanche hors du commun...

 

 

8200 selon la police, 15 000 selon le collectif.- Quelque soit le nombre exact de manifestants, la mobilisation de ce matin a été à la hauteur des attentes du collectif. Après plus de dix jours de grève, il parvient encore à faire descendre des milliers de personnes dans les rues.
Selon plusieurs observateurs, la tension serait cependant de plus en plus palpable dans la foule. Ce matin, les interpellations en Guadeloupe ont échauffé les esprits.

Les négociations reprennent.- Pendant la manifestation, les négociations ont repris en préfecture. Ce matin, le prix du gaz a en particuler été abordé. Concernant l'accord avec la grande distribution, après plusieurs coups de gueule ce matin, il serait en phase de rédaction.
 

 

Devant les portes métalliques de ce Leader Price à Fort-de-France, ils sont des dizaines de clients à s'entasser et se bousculer, leurs sacs en plastique encore vides à la main. Il est 10h30 et le soleil tape fort.
À l'intérieur du magasin, les vigiles régulent les entrées et les sorties. Impossible d'accepter tous ces clients en même temps. Marc, un riverain, attend depuis 45 minutes. « Ça n'avance pas vite », constate-t-il. « C'est parce que mon épouse est diabétique que je suis obligé de faire comme tout le monde. Si cela ne tenait qu'à moi, je n'aurais pas fait la queue ! ».
À ses côtés, Maryse, une jeune maman, s'emporte : « les vigiles ont fait rentrer des femmes par derrière et quand mon mari est arrivé avec moi, on m'a dit tu rentres pas ! ». Exaspérée, elle veut rebrousser chemin lorsque la porte métallique de l'entrée s'ouvre lentement. La foule se presse en avant. Ceux qui ont fini leurs courses ne peuvent s'extirper. Les employés tentent de faire face.

« Zot ka krazé madam-la ! »

« Laissez la grande dame passer, s'il vous plaît laissez la grande dame passer », crie le vigile. « Zot ka krazé madam-la ! », intervient-il. Avec difficulté, Paulette se fraie un chemin, son caddie rempli poussé à bout de bras. « Je n'ai pas trouvé de café et de lait mais j'ai pu acheter tout le reste », se félicite-t-elle, après deux heures de patience pour arriver à ses fins.
Autre lieu mais même attente ce samedi matin. Devant le Huit à Huit de Schoelcher, une file mieux ordonnée s'étend sur plusieurs dizaines de mètres. Là encore, les clients rentrent dans le magasin par petits groupes. « On est là depuis trois heures » se désole ce groupe de jeunes filles, pourtant tout près du but. Une fourgonnette arrive pour ravitailler le commerce. Philippe Champrobert, le gérant, décharge les produits congelés et frais pour réalimenter ses rayons. Certains clients lui font savoir que la file n'avance pas. « On fait ce qu'on peut donc patientez ! Je n'y suis vraiment pour rien ! », déplore-t-il, les bras encombrés.
En bout de file, Ghislaine s'interroge. « Trois heures de queue ? Ah non, on va laisser ça tomber... », désespère-t-elle.