François Fillon a réuni hier à Matignon le premier conseil interministériel de l'Outre-mer à Matignon, avec 14 ministres. Le chef du gouvernement s'est aussitôt félicité de la reprise du dialogue en Guadeloupe, estimant que c'était « la clef de la sortie de crise » , car elle ne sera « pas résolue tant qu'il n'y aura pas d'accord entre partenaires sociaux » , avant d'en appeler fermement au patronat local pour qu'il fasse « des propositions d'augmentation de salaire » .
Chacun doit maintenant saisir les propositions faites « avec esprit d'ouverture et de bonne volonté, pour trouver un accord qui garantisse à la fois le développement économique de la Guadeloupe et la justice sociale pour les Guadeloupéens » , a-t-il dit, ajoutant que le gouvernement avait « sa feuille de route » et qu'il était « désormais prêt à travailler avec tous ceux qui sont soucieux de l'avenir de l'Outre-mer » .
« La problématique des prix n'est pas une fatalité »
Selon lui, « le dispositif prévu dans la proposition des médiateurs place chacun dans son rôle » : « Les employeurs, car c'est à eux que revient de prendre en compte la revendication de hausse des salaires portée par le collectif ; le collectif, qui doit prendre en compte l'impératif de développement économique de la Guadeloupe et aussi la protection des emplois » . Enfin, l'Etat qui « est prêt à faire un effort financier, en exonérant de charges sociales la prime qui sera versée aux salariés. Et en mettant en oeuvre le RSA de manière adaptée à l'Outremer au bénéfice des salariés les plus modestes » .
François Fillon a estimé que « la problématique de la concurrence et des prix » qui est « à bien des égards à l'origine de la crise que nous vivons » , n'était « pas une fatalité » . « Nous allons donc explorer toutes les pistes, avec l'aide de l'Autorité de la Concurrence, avec l'aide de la mission de la Direction générale de la concurrence, qui est d'ailleurs en ce moment même en Guadeloupe, et avec l'aide des opérateurs économiques qui ont accepté d'entrer de manière volontaire dans une logique de baisse des prix pour les produits de première nécessité » a-t-il promis. Il a par ailleurs assuré que le gouvernement était « fermement décidé à prendre à bras-le-corps la question du prix des carburants » .
Pour préparer les Etats généraux de l'Outre-mer qui se tiendront en mai, le chef du gouvernement a par ailleurs annoncé la nomination d'un responsable de la consultation dans chacun des quatre départements d'Outre-mer qui seront « chargés, auprès du préfet et en lien avec les élus, d'organiser les tables rondes pour débattre de tous les grands enjeux énoncés par le président de la République et ceux que les uns et les autres voudront ajouter » .
« Le gouvernement sera mobilisé autour de cette tâche » , a-t-il assuré, indiquant qu'il se déplacerait en Martinique pour la première réunion, sans en préciser la date. La ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie ira à la Réunion et le secrétaire d'Etat à l'Outre-mer, Yves Jégo, en Guyane. Il a rappelé que Nicolas Sarkozy irait, lui, début avril en Guadeloupe.
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Vous pouvez retrouver l'intégralité du discours et la vidéo de François Fillon et de sa conférence de presse sur www.franceantilles.fr
- La loi d'orientation sera modifiée « avec les acteurs locaux »
« Ceux qui connaissent l'Outre-mer savent qu'il y a beaucoup de talents, beaucoup d'imagination, beaucoup de potentiels humains et de potentiels naturels à valoriser » : c'est en ces termes que le Premier ministre a justifié hier la décision de l'Etat de modifier la loi d'orientation pour le développement de l'Outre-mer conformément à ce qu'avait annoncé la veille le président de la République.
Dans ce but, il a annoncé qu'il recevrait « jeudi prochain » , avec Michèle Alliot-Marie et Yves Jégo, « l'ensemble des élus des quatre départements pour discuter avec eux des amendements que nous allons apporter ensemble au projet initial » . Il a précisé que « le calendrier d'examen par le Parlement ne sera pas modifié pour qu'il n'y ait aucun retard à l'adoption de ce texte » qui sera présenté au Sénat le 10 mars.
Selon François Fillon, « les trois axes principaux d'amélioration de la loi porteront sur les futures zones franches d'activité pour en étendre le champ, sur la réforme des exonérations de charges pour mieux prendre en compte la problématique de l'encadrement intermédiaire, et enfin sur le plan de relance du logement social pour soutenir davantage le logement intermédiaire dans une enveloppe de 150 millions d'euros » .
- L'avenir du secrétariat d'état à l'Outre-mer évoqué
En pleine polémique, ouverte la veille par le titulaire du portefeuille lui-même, qui avait mis en question l'utilité du Secrétariat d'Etat à l'Outre-mer, le Premier ministre a admis que cette question « pourrait être évoquée » à l'occasion des états généraux de mai prochain.
« A chaque époque s'est posée la question de la manière de mieux associer l'ensemble des membres du gouvernement aux questions touchant l'outre-mer. C'est l'objectif du conseil qui a été créé, mais ça ne résout pas la question du dialogue qui doit être permanent entre le gouvernement et les territoires et les départements d'outre-mer » , a-t-il déclaré.
Pour François Fillon, il n'est cependant « pas question de modifier les structures » gouvernementales en charge de l'Outre-mer d'ici la tenue de ces états généraux. « Il n'y a aucune raison d'y répondre de manière hâtive » , a-t-il précisé. « Chacun comprend que nous avons besoin d'un ministère qui coordonne les politiques et qui soit l'interlocuteur privilégié, en particulier des élus de l'outre-mer » , a-t-il ajouté, en soulignant « le caractère spécifique des problèmes de l'Outre-mer » .
- TEMOIGNAGES : Mirella « espère » , Andrena n'y croit pas
Dans un café de Pointe-à-Pitre, l'un des rares encore ouverts, les regards étaient rivés jeudi après-midi sur les grands écrans diffusant l'intervention « spéciale Outre-mer » de Nicolas Sarkozy.
Mirella Simonin « espère » que les propositions du chef de l'Etat « vont suffire pour que la situation se débloque » . « Il ne faut pas être des enfants gâtés, dit-elle. La situation en France est aussi très difficile. Il faut que chacun fasse des efforts » . Cette commerçante « comprend » les revendications des grévistes. « Sous les cocotiers, on a découvert la face cachée de la Guadeloupe avec des prix beaucoup plus élevés qu'en métropole et des jeunes qui sont obligés de partir pour trouver du travail » . Sa fille de 26 ans s'est expatriée aux Etats-Unis faute d'avoir trouvé une place dans l'île où le chômage est trois fois plus important qu'en métropole.
Mais depuis quelques jours, Mirella vit dans « l'angoisse » . Pour la première fois mercredi soir, elle a dû fermer son commerce par crainte de la violence. La nuit précédente, un syndicaliste a été tué dans un autre quartier de la ville. « On se croirait en temps de guerre, s'inquiète-t-elle, avec ce qui ressemble à un couvre-feu » . Quand ce matin, elle s'est préparée pour aller travailler, son fils, qui n'a plus classe depuis un mois maintenant, lui a lancé « maman t'es folle, tu veux te prendre une balle » . « Il faut que ça s'arrête » , demande-t-elle. Et en écoutant à la télévision la première réaction d'Elie Domota, dirigeant du collectif LKP, qui « défend les gens qui n'ont rien » , elle a repris espoir.
« Tout a dégénéré »
Assise sagement à côté, Andrena Arboite, 22 ans, est des plus pessimistes. « C'est la merde » , lâche-t-elle sans ambages après la fin de la retransmission. « Il faut des arguments plus convaincants, estime-t-elle. Il faut redonner espoir aux gens » .
Comme beaucoup ici, elle juge que la crise ne porte plus seulement sur les prix de l'alimentaire ou de l'essence mais qu'elle est « beaucoup plus profonde » que cela. « Derrière, il y a un conflit racial » , regrette-t-elle, partageant la table avec un ami « métro » . « Je n'ai rien compris, dit-elle. Tout a soudainement dégénéré » .
Depuis jeudi soir, les contacts ont été renoués entre le LKP d'un côté, le préfet et les médiateurs du gouvernement de l'autre, les premiers depuis une semaine de gel total des négociations officielles. Le temps s'est comme arrêté en Guadeloupe.
- REACTIONS
- Brigitte Girardin, ancienne ministre de l'Outre-mer - « Je pense que, dès le départ, de mauvais signaux ont été envoyés par l'exécutif face à la crise en Outre-mer (...) Je déplore la remise en cause d'outils de développement efficaces mis en place dans la loi-programme de 2003, au moment où la crise frappait. Selon moi, le gouvernement a eu tort d'avoir plafonné la défiscalisation plus fortement encore que ne l'avait fait Bercy du temps de la gauche, et d'avoir voulu faire 150 millions d'euros d'économies sur les exonérations de charges sociales des entreprises (...) C'est une bonne chose que le président Sarkozy ait fait un geste sur ce point (...) Pour en revenir à la défiscalisation, ce n'est pas une niche fiscale mais un instrument efficace de développement, qui crée de l'investissement et de l'emploi local, en évitant l'assistanat (...) Je pense que l'Etat doit être plus présent et surtout plus attentif outre-mer, où il suffisait d'aller sur le terrain pour se rendre compte que les choses allaient mal (...) Comme sous la gauche, il n'y a plus de ministère de l'Outre-mer de plein exercice ni ministre originaire de l'outremer au sein du gouvernement, ce qui est tout de même problématique pour la diversité » .
- Michel Barnier, ministre de l'Agriculture et de la Pêche - « Un très gros travail doit être fait dans l'agriculture et la pêche aux Antilles pour recréer une souveraineté alimentaire. En Guadeloupe, plus de la moitié du boeuf consommé est importée tandis que le taux passe à 95% pour les volailles. Il n'y a pas eu suffisamment de soutien à la production locale. Il est trop facile d'importer. Nous allons construire et reconstruire des filières. »
- Victorin Lurel, président PS du Conseil régional de Guadeloupe - « Je n'aime pas la racialisation du conflit. Même si Elie Domota s'en défend, et c'est à son honneur, on voit les comportements : on brûle spécifiquement certaines entreprises appartenant aux blancs. Je n'aime pas ça chez moi. Ma Guadeloupe est plus accueillante et plus tolérante que ça. Quand le dolorisme, pratiqué depuis quelque temps, tombe dans l'esprit enfiévré de quelques-uns, on ne sait pas ce que cela peut donner » .
- Xavier Bertrand, secrétaire général de l'UMP - « L'époque des discours est terminée. Il fallait des actes, des actes forts (...) Les décisions prises et annoncées par le président sont à la hauteur. Ce sont des solutions structurantes qui vont permettre de mieux dessiner l'avenir dans les Dom-Tom et qui apportent des réponses dans la situation actuelle (...) Maintenant, chacun doit prendre ses responsabilités, tout le monde sans exception. On a besoin de sérénité, de dialogue, de construire (...) et de confiance » .
- Christiane Taubira, députée de Guyane (PRG) - « Si un secrétaire d'Etat à l'Outre-mer comme M. Jego qui, en se rendant sur place, se rend compte de la situation et des scandales qui perdurent depuis très longtemps, pose des mots sur ces scandales et fait même des menaces, déclare que l'Etat va porter plainte parce qu'il constate des pratiques délictueuses, et qu'il est obligé de manger son chapeau quatre jours après, c'est vrai qu'on se demande à quoi sert le secrétariat à l'Outre-mer. Dans les arbitrages interministériels, il n'est pas très puissant le secrétariat à l'Outre-mer (...) C'est pas mal qu'il se fasse hara kiri » .
- Jean-Christophe Cambadélis, secrétaire national du PS aux relations internationales - « Tout le monde peut comprendre qu'il faut une désescalade, mais pour que cette désescalade ait lieu, il faut que les propositions du gouvernement soient à la hauteur des revendications. On est un peu dans le flou. Je ne comprends pas pourquoi le président de la République n'a pas décidé d'aller immédiatement sur place rencontrer le LKP. C'aurait été un geste fort, au-delà du discours (...) Il se passe des événements en Géorgie. Deux heures plus tard, Nicolas Sarkozy est sur place. Là, il y a un mort, une situation qui dure depuis 30 jours, il n'a pas fait le déplacement (...) On a perdu beaucoup de temps dans cette affaire. Que s'est-il passé ? Pourquoi M. Jego a-t-il été rappelé en métropole ? Qu'est-ce qui s'est passé en métropole ? Est-ce qu'il y a eu un arbitrage du Premier ministre par rapport aux propositions de M. Jégo ? Il faudra éclaircir cela et nous y reviendrons » .