ABATTAGES RITUELS

Sujet tabou

Ce combat, mené dans la prolongation de celui initié en 1962, est aujourd’hui plus difficile car si à l’époque personne ne remettait en cause le sens de l’action entreprise par Brigitte Bardot (limiter la souffrance des animaux avant leur abattage), il est de bon ton aujourd’hui de faire croire que son action vise les communautés musulmanes et juives.

Non, ce n’est pas l’abattage rituel que la Fondation Brigitte Bardot dénonce, mais l’abattage des animaux sans étourdissement préalable !

D’ailleurs, nous avons toujours été en contact avec les autorités religieuses concernées afin de leur présenter nos arguments et leur demander de reconnaître l’électronarcose comme étant une méthode d’étourdissement ne portant pas atteinte au caractère vital de l’animal (le Recteur de l’Institut Musulman de la Mosquée de Paris nous ayant écrit, le 17 mai 1999 : « La Mosquée de Paris partage la position de son grand Mufti de la Mosquée de Lyon qui vous avait précisé que rien ne s’opposait à l’étourdissement préalable de l’animal à condition que cet étourdissement ne porte pas atteinte au caractère vital de celui-ci »).

Malheureusement, nous n’avons pu, à ce jour, aboutir au résultat escompté et avons assisté à une lamentable partie de ping-pong où chacun se renvoie la balle sans jamais prendre d’engagement, à l’image du ministère de l’Intérieur qui, le 2 juillet 2002, nous écrit : « Je suis évidemment disposé à examiner la méthode d’étourdissement par électronarcose que vous suggérez pour l’abattage rituel des animaux dans la mesure où celle-ci pourrait recueillir l’accord des communautés israélite et musulmane ». Plus récemment, le 11 février 2004, ce ministère souligne que : « il n’appartient pas au ministère de l’Intérieur de tenter d’infléchir les principes ou la doctrine d’un culte…/…Cependant, les contacts directs que vous allez établir à ce sujet avec M. Boubakeur et éventuellement les instances représentatives du culte israélite peuvent faciliter, voire accélérer la mise en place de l’électronarcose ».

De son côté, le ministère de l’Agriculture nous précise qu’il ne lui appartient pas d’intervenir si le ministère de l’Intérieur n’intervient pas…

Textes sacrés, interprétations diverses

Dans l’avis¹ de l’Institut suisse de droit comparé « sur l’étourdissement des animaux avant leur abattage », rédigé par le docteur en droit Sami A. Aldeeb Abu-Sahlieh, on peut lire notamment une fatwa, rendue le 18 décembre 1978 par la Commission de fatwa égyptienne, qui précise : « si l'électronarcose de l'animal ou tout autre procédé d'anesthésie aide à saigner l'animal en affaiblissant sa résistance lors de la saignée, et si cette électronarcose n'a pas d'effet sur sa vie (c'est-à-dire que l'animal revient à la vie normale s'il est laissé non-saigné), il est permis de recourir à une telle électronarcose ou tout autre procédé d'anesthésie allant dans ce sens avant la saignée ; la viande de l'animal saigné de la sorte est licite. ».

Or, pour que la viande soit consommable, l’animal doit être vivant au moment de la saignée, le cœur devant continuer à battre pour évacuer le sang des artères et jugulaires tranchées. L’étourdissement n’a donc pas pour objet de provoquer la mort mais de placer l’animal dans un état d’inconscience afin de limiter sa souffrance.

En Allemagne, une démonstration de l’électronarcose a été faite, en 1996, à la communauté musulmane. Lors de cette commission, à laquelle participait l’OABA, un taureau a été laissé gisant au sol après l’électronarcose jusqu’à ce qu’il se relève de lui-même. Les vétérinaires présents ont démontré que le cœur de l’animal continuait à battre, que le sang s’écoulait normalement… Dès lors, pourquoi refuser l’étourdissement des animaux avant leur abattage alors que rien dans les textes ne s’y oppose ?

L’étourdissement accepté dans certains pays

Au sein de l’Union européenne, seule la Suède a pris des dispositions réglementaires pour rendre obligatoire l’étourdissement des animaux avant leur abattage (rituel y compris). En Angleterre, si rien n’est stipulé par la loi, on estime à 90 % la part de viande halal provenant d’animaux étourdis avant leur saignée (la communauté musulmane ayant accepté ce principe).

En Europe toujours, mais hors pays membres de l’Union, la Norvège et la Suisse interdisent l’abattage des animaux de boucherie sans étourdissement préalable.

Enfin, la Nouvelle-Zélande et l’Australie (gros exportateurs de viande vers les pays du Moyen-Orient) pratiquent l’électronarcose avant l’abattage.

Dans ce cas, l’abattage rituel est respecté : les animaux (inconscients mais vivants), tournés vers la Mecque, sont tués par des sacrificateurs agréés qui prononcent, au moment de l’égorgement, les paroles sacrées.

L’abattage rituel plus contraignant, plus coûteux

Paradoxalement, l’abattage sans étourdissement est plus long et plus coûteux que l’abattage conventionnel. En effet, les abattoirs pratiquant cet abattage doivent, obligatoirement, disposer d’un équipement spécifique (sources OABA²) :

Les bovins doivent être conduits dans un box rotatif de forme cylindrique. Lorsque l’un d’entre eux se retrouve à l’intérieur, une porte guillotine se referme derrière l’animal qui ne doit pouvoir ni reculer, ni avancer. Des vérins hydrauliques poussent des battants métalliques à l’arrière de l’animal, ainsi que sur les côtés. Ce dernier est alors coincé par la pression des battants.

Seule la tête dépasse par une ouverture à l’avant du box. Une mentonnière placée à cet endroit est activée. Elle se relève et rabat la tête de l’animal en la tirant vers l’arrière. Ainsi, la tête est coincée, l’animal complètement immobilisé. Une demi-rotation (180 degrés) de l’appareil est effectuée, l’animal stressé se retrouve dans une position peu naturelle, sur le dos, les quatre pattes en l’air. Le cou est dégagé, la bête peut être égorgée.

Les ovins et caprins sont conduits par un couloir vers un piège à contention mécanique. Lorsque l’un d’entre eux se retrouve dans le piège, un battant métallique se rabat derrière l’animal, le poussant vers l’avant, un autre se positionne au-dessus de lui. Seule la tête dépasse. Un basculement sur le côté est effectué (90 degrés), l’animal se retrouve sur le flanc, prêt pour la saignée…

Dans le cadre d’un abattage classique, l’animal entre dans un piège, le plus souvent en béton formé de quatre parois et ouvert sur le dessus. Il reste debout, le pistolet à tige perforante (pour les bovins et équidés) est placé sur le front de l’animal qui s’écroule sur le sol. Le piège est alors ouvert, l’animal inconscient est suspendu, puis saigné rapidement. La méthode est bien plus rapide, sans manipulations stressantes et l’animal garde sa position debout pendant les opérations d’étourdissement. Il serait plus simple de n’utiliser que ce genre de contention accompagné d’une méthode d’étourdissement (mécanique ou électrique).

Etre sensible

L’étourdissement serait contraire aux normes juives ou musulmanes si celles-ci imposaient de faire souffrir l’animal avant de l’égorger. Or, ni la Bible ou le Talmud, ni le Coran ou la Sunna de Mahomet, constituant respectivement les deux sources de droit chez les juifs et les musulmans, ne contiennent de règles contraignantes prescrivant l’abattage sans étourdissement ou interdisant la consommation de viande issue d’animaux ayant été étourdis avant la saignée. Au contraire, ces sources recommandent de réduire la souffrance des animaux autant que faire se peut.

L’Office fédéral vétérinaire¹ a visité, le 24 juillet 2001, l’abattoir de Besançon où les animaux font l’objet d’un abattage rituel pour le marché suisse. Après cette visite, « la délégation n’est pas en mesure de confirmer que l’abattage rituel ne cause pas de douleurs aux animaux. De nombreux animaux abattus correctement selon le rituel présentaient, après l’incision, de fortes réactions de défense ; le réflexe cornéen, qui sert de critère pour la perte de conscience, était encore nettement observable parfois jusqu’à 30 secondes après l’incision provoquant la saignée »

Consommateurs trompés

Une pratique de plus en plus répandue en France² consiste à abattre les moutons selon la méthode rituelle, même ceux destinés à la consommation classique. Abattre en rituel, sans étourdissement, tous les moutons permet de prélever les boyaux (très utilisés en cuisine orientale) avec l’appellation Halal et de réintégrer la viande dans le circuit classique.

Une autre pratique très répandue est celle de remettre dans le circuit classique les carcasses et quartiers provenant d’animaux abattus rituellement, qui sont « déclassés » après l’inspection religieuse des carcasses. Ces dernières sont refusées en raison de la non-attribution de la certification rituelle, en l’occurrence l’appellation Casher ou Halal.

En effet, dans le culte de la gastronomie Casher, les parties arrières de la tête aux épaules jusqu’à la huitième côte pour les bovins sont déclarées impropres à la consommation. Elles sont alors orientées dans le circuit classique. De plus, un certain nombre de carcasses entières (parfois plus de 50 % sur un lot d’animaux abattus rituellement) est refusé après son inspection post mortem… là encore, la viande se retrouve dans le circuit classique (boucheries, restaurants, hypermarchés…) à l’insu des consommateurs ne désirant pas consommer de viande rituelle.

L’action de la Fondation Brigitte Bardot

Après être intervenue à maintes reprises auprès des autorités dites compétentes, la Fondation s’est tournée vers les autorités musulmane et israélite afin d’établir un dialogue qui permette, enfin, d’aboutir au changement de réglementation (obligation d’étourdissement préalable des animaux) que nous demandons.

Le 11 février 2004, la Mosquée de Paris ouvrait ses portes à la Fondation pour une rencontre « historique » entre le Président du Conseil Français du Culte Musulman et Brigitte Bardot. Au cours de cet entretien, le Recteur et l’Imam de la Mosquée de Paris nous ont confirmé que rien, dans les textes sacrés, ne s’opposait à l’étourdissement des animaux avant leur abattage. Le Dr Dalil Boubakeur doit saisir le Conseil Français du Culte Musulman sur la question mais il souhaite que les ministères de l’Intérieur et de l’Agriculture participent à cette réflexion car, comme il l’a déclaré à la presse, « ce sera aux autorités publiques de définir la réglementation susceptible de s’imposer dans la pratique de l’abattage rituel ».

Avant de rencontrer le Grand Rabbin de France pour s’entretenir de ce même sujet, la Fondation est à nouveau intervenue auprès des ministères de l’Intérieur et de l’Agriculture afin qu’ils saisissent l’opportunité qui leur est offerte par le Président du CFCM de mettre un terme, dans notre pays, à l’abattage de millions d’animaux en toute conscience.

Nous avons également fait appel au Premier ministre, le 11 mars dernier, lors de l’entretien que M. Raffarin a accordé aux associations françaises de défense des animaux.

Les parlementaires français soutiennent l’action de la Fondation

Si le gouvernement n’a pas encore répondu à notre attente, ce sont les parlementaires français qui nous ont apporté, une fois encore, le plus vif soutien. En quelques jours, plus de 50 d’entre eux sont intervenus sous forme de question écrite ou de lettre au ministre (Agriculture et Intérieur), de consultation au sein de leur groupe politique, de réflexion sur la rédaction d’une proposition de loi, etc.

Jamais peut-être nous n’avions été aussi près du but. Le gouvernement a maintenant la possibilité et les moyens de rendre obligatoire l’étourdissement des animaux avant tout abattage, rituel y compris, mais cette opportunité est très fragile, et s’il ne saisit pas la balle à temps, la partie sera, peut-être, définitivement perdue…

* Œuvre d’Assistance aux Bêtes d’Abattoirs – 10 place Léon Blum – 75011 Paris

¹ Avis sur l’étourdissement des animaux avant leur abattage. Institut suisse de droit comparé.
Décembre 2001

² L’abattage rituel dans les abattoirs français. Rapport de Jean-Luc Daub pour l’OABA.
Août 2003