LE CADRE

Le cadre où je dessine cette histoire n'est pas d'ébène, il s'étend vers le vaste horizon ouvragé. Mon pinceau étendra, sur le lavis bleu du ciel, quelques rayons de l'orange qui s'écrasent sur la ligne brune de la terre.
Et la pourpre roseraie, où irradie la présence de la femme, bruisse à son passage. Les cailloux craquent comme des coques de noix qu'on casse, sous son pied léger. Tout marque son empreinte, sa robe de taffetas vient de tourner au coin de la maison. Elle doit se diriger vers moi. J'entends son soulier précipité dans l'escalier. Elle interrompra la lecture de ce livre ancien, que je ne lisais pas, mes yeux rivés à un mot, ma pensée accrochée à son pas. Sa main a poussé la porte derrière elle :

• « Bonjour, c'est moi ! »

Il est vrai que je ne vis que pour elle ; elle est tout pour moi. Je ne dis mot, l'amour véritable n'est qu'en pensée. Aux prises avec ma turpitude imagination.

Je pétrirai son corps, la glaise de ses cheveux ondoiera sous mes doigts. L'ivoire de sa peau rosira pour moi. C'est la brune Andromaque, l'incarnat du fer.

Je lui propose du thé et lui dérobe le mouvement de sa taille. Elle s'assoit, grignote quelques gâteaux secs qui cassent sous ses dents.

J'arracherai de ses lèvres des baisers, des aveux et de ma bouche les boutons de son corsage.

• « A la framboise, cette fois mademoiselle, j'ai pensé que pour vous, à ne pas s'installer dans la commodité, et que l'aromatisant pourrait vous désennuyer de mes goûts. »

J'abreuverai ton corps de toute sa soif. Je te noierai de cadeaux, de caresses, ton corps s'échouera sur la rive d'un bras. Je me ferai perle d'eau, ru, méandre, détroit pour serpenter dans les courbes de ton continent.

• « Oui, il est bon ce thé-ci. »

Tes mots deviendront des sermons, des psaumes, des cantiques. Tu es le tabernacle qui vacille et vers quoi je marcherai hagard, réprouvé, aveugle de toi.

• « Il est tard, je reviendrai jeudi prochain ! »

J'aplanirai le temps, je nivelerai les horizons, j'écraserai sous ma botte les frontières qui nous séparent, j'irai au bout du jardin pour me greffer à ton espace.

• « Bien sûr, mademoiselle, faites-moi cette obligeance ! »

Des mots salaces que l'on sait taire aux femmes gueuleront mon ordure, l'immondice de mon désir animal sans l'hypocrisie du langage.

• « Bonjour à madame votre mère, monsieur. »

Et elle s'en va...