S'il n'est pas toujours facile en France d'être mère et seule, le Paraguay a une histoire particulière qui explique en partie la situation folle des femmes et des enfants. J'ignorais complètement ces particularités et j'avoue que tout cela me touche énormément.
Au dit «Pays des femmes», seulement trois enfants sur dix sont reconnus par leur père.Marquée par la guerre et un certain conservatisme, la société paraguayenne a du mal à mettre les hommes devant leurs responsabilités.
De notre correspondant en Amérique latine.
À peine un an après son élection, le président paraguayen Fernando Lugo a dû reconnaître la paternité d'un garçon de deux ans, conçu alors qu'il portait encore l'habit religieux. Après cet aveu forcé, deux autres mères ont dit avoir cédé à ses avances, et affirmé que le Président était le père de leur enfant. Idem, il y a deux mois, de la part d'une de ses nièces. Début de la dynastie d'un curé défroqué ou simple cabale contre un homme politique? «Nono» (c'est son surnom), en tout cas, fait attendre la justice pour se soumettre à des tests ADN.
«Fais un gosse et tire-toi!»
Derrière ce fait particulier se cache une pratique commune au Paraguay, qu'on pourrait vulgairement résumer ainsi: «Fais un gosse et tire-toi!». À la fin du XIXesiècle, 80% des hommes paraguayens entre 15 et 70 ans périrent dans la guerre contre la Triple alliance (Brésil, Uruguay et Argentine). La population était alors proche de l'extinction et le Paraguay a gagné un surnom:«le Pays des femmes». Une sorte de polygamie devint la règle pour le repeupler et, par la force des choses, la moitié des naissances devinrent «illégitimes». «Ici, il y a beaucoup d'enfants qui font des petits boulots dans la rue. Leurs pères les ont abandonnés et ils doivent aider leurs mères en travaillant», explique Norma Acuña, responsable de Kuña Aty à Villarrica, une fondation née sous l'impulsion de l'actuelle ministre de la Femme. Avec d'autres, Norma a fait de l'émancipation des femmes son cheval de bataille. Leurs idées ne sont pas forcément bien vues dans ce pays très catholique. Mais le quotidien ne cesse de les convaincre de continuer le combat contre le modèle du macho latino. «Les mamans sont souvent sans ressources. La loi est censée être en leur faveur, mais la justice reste aux mains des hommes. Et les rares fois où elles obtiennent une décision en leur faveur, elle n'est pas appliquée!», déplore Eva Bogado, conseil de la fondation.
Le préservatif? «Pas honorable»
Du côtédu cabinet médical, même désarroi. «Beaucoup de jeunes filles viennent me consulter pour des avortements. Très peu connaissent la contraception. Et leurs compagnons ne veulent pas utiliser de préservatif car «ce n'est pas honorable», disent-ils. Mais pour assumer la paternité, il n'y a plus personne», se lamente Ana Troche, médecin gynécologue.
De plus en plus jeunes
«La dictature du général Stroessner a sûrement favorisé un système patriarcal. Les femmes, ici au départ très tolérantes avec les hommes, sont devenues soumises», explique Delia Caceres, qui dirige l'antenne pour mères adolescentes de la Croix-Rouge, à Asunción. «Ici, on trouve des mères solitaires de plus en plus jeunes. On a eu des cas de fillettes qui avaient tout juste dix ans.» Dans ce petit refuge de la capitale, les jeunes filles arrivent un peu désemparées et sont accueillies, éduquées et suivies jusqu'à trois mois après leur accouchement. «On leur apprend à cuisiner et à se tenir bien», résume Maria Almada, l'institutrice. Un bagage un peu léger pour se lancer dans des poursuites judiciaires et mettre les hommes devant leurs responsabilités.
Le Télégramme du 15 février
