Histoire du département de la Gironde (Partie 2/3)
(Région Aquitaine)
C'est à cette époque que remonte la transformation du mot Aquitaine, dont l'étymologie latine était tirée des nombreux cours d'eau qui arrosent le pays ; la suppression de l'a et la corruption du langage usuel firent d'Aquitaine Guyenne, nom qui, dans la suite, s'applique plus spécialement aux rives de la Gironde et au comté de Bordeaux.
L'établissement des princes anglais en France, origine de guerres si longues et si cruelles, source de tant de maux, valut aux habitants des villes les premières franchises communales dont l'histoire fasse mention, concessions accordées par la politique étrangère pour s'assurer les sympathies des populations que tant de liens devaient rattacher à la couronne de France ; Bordeaux et d'autres villes de la Gironde obtinrent, sous Henri II, le droit de se gouverner, d'élire leurs magistrats, de se défendre elles-mêmes et de n'être assujetties à aucun subside, s'il n'était librement consenti par le peuple.
Ces améliorations n'étant guère profitables qu'aux villes, de sérieuses manifestations contre la domination anglaise signalèrent les règnes de Henri II et de Richard Coeur de Lion ; mais les barons aquitains furent toujours obligés de se soumettre.
Sous Jean sans Terre, les dévastations commises par les routiers, les exactions des baillis et sénéchaux anglais excitèrent de nouveaux troubles ; la situation ne fit qu'empirer sous Henri III, dont les mandataires ne respectaient même plus les immunités de l'Église. Tant d'excès et d'outrages lassèrent enfin la patience des opprimés. Toutes les paroisses de l'Entre-deux-Mers, en partie ruinées et dépeuplées, jetèrent ensemble un cri de détresse, et leurs plaintes furent transmises à Henri II, par l'archevêque et le clergé de Bordeaux, en 1235.
L'année suivante, Henri chargea deux commissaires d'informer des griefs articulés et de vérifier soigneusement la légalité des privilèges à invoquer ; l'enquête eut lieu en présence de l'archevêque de Bordeaux, de l'évêque de Bazas, des abbés des deux diocèses, du maire et des jurats de Bordeaux, des barons et des principaux chevaliers de la Guyenne. Il était facile d'établir que les atteintes portées aux privilèges de la province, les excès commis par les routiers, les ravages momentanés d'une autre espèce de brigands qui, sous le nom de pastoureaux, inondèrent une partie de la Guyenne en 1259, et tous les désordres dont on se plaignait avaient pour cause première et principale l'absence de toute autorité centrale capable de se faire respecter et obéir ; mais quel était, à cette époque, le gouvernement qui pouvait donner une pareille sécurité à ses sujets ?
Le traité de 1259 reconnaissait Henri III comme souverain des comtés de Périgord, Limousin, Saintonge, Quercy et Agenais, outre le Bordelais et la Gascogne dont il avait la possession sous la suzeraineté des rois de France. De ce partage du territoire, de cet équilibre de forces, de cet antagonisme, pouvait-il sortir autre chose que cette lutte acharnée dont le pays fut le théâtre et la victime jusqu'au triomphe définitif de Charles VII ?
En 1292, les Anglais capturent en pleine paix des vaisseaux naviguant sous le pavillon de France. Philippe le Bel somme Édouard de comparaître devant les pairs pour y rendre raison de cette violation du droit dés gens. Sur le refus du roi d'Angleterre, l'Aquitaine est confisquée par un arrêt, et les Français en occupent plusieurs villes à main armée. Édouard fait passer de nombreuses troupes dans la province menacée, sous les ordres des ducs de Richemond et de Lancastre, qui reprennent Blaye, Bourg, La Réole et Rions ; après une guerre de plusieurs années où les succès de part et d'autre se balancent, une double alliance entre la famille des Plantagenets et celle de France remet Édouard en possession de son duché, en 1303.
Les hostilités recommencent en 1324, à l'occasion d'un fort que Hugues de Montpezat s'était permis d'élever dans l'Agenais sur les limites françaises ; la prise de La Réole fait craindre au monarque anglais l'envahissement de ses domaines. Il se hâte de proposer un traité qui est accepté. En 1337, les prétentions qu'Édouard III élève à la couronne de France rallument la guerre. Le comte de Derby, son neveu, arrive en Guyenne en 1345 ; Langon, Libourne, Monségur, La Réole lui ouvrent leurs portes. Au comte de Derby succède le prince de Galles ; la bataille de Poitiers a été perdue par les Français ; le roi Jean est prisonnier (1356).
Édouard érige la Guyenne en principauté et en investit son fils, à la charge de relever, de la couronne d'Angleterre, avec redevance d'une once d'or. Bordeaux devient alors siège d'une cour brillante et chevaleresque ouverte à tout prince ambitieux, à tout baron mécontent qui croit avoir quelque grief à faire valoir contre le roi de France.
L'éclat de cette puissance éblouit le successeur de Henri II, de ce prince qui consolidait sa puissance par la concession des franchises communales ; le fils d'Édouard, pour réparer ses finances épuisées par la guerre et subvenir aux prodigalités de sa cour, impose une taxe de dix sous sur chaque feu de sa principauté. Les paysans murmurent ; les seigneurs, jaloux de la prédominance anglaise, se font les interprètes de leurs justes plaintes auprès du roi de France. Le connétable Bertrand Du Guesclin, à la tête d'une vaillante armée, arrive pour les appuyer ; de victoire en victoire, il poursuit les Anglais jusqu'aux portes de Bordeaux, et n'est arrêté que par la trêve de Bruges, signée en 1375.
De tous les événements particuliers à la Guyenne survenus du temps de Richard II, le plus remarquable fut la ligue défensive que les villes du Bordelais formèrent entre elles en 1379. A l'expiration de la trêve, les hostilités avaient recommencé ; la ville de Saint-Macaire venait d'être prise par le duc d'Alençon ; toutes les autres places étaient menacées. Se voyant abandonnées par le roi d'Angleterre, les villes de Blaye, Bourg-sur-Gironde, Libourne, Saint-Émilion, Castillon, Saint-Macaire, Cadillac et Rions résolurent de pourvoir à leur sûreté commune en se confédérant sous le patronage de Bordeaux, avec promesse d'un mutuel secours.
Mais il n'était pas au pouvoir des communes de conjurer l'orage prêt à fondre sur elles. La Guyenne ayant été envahie par le comte d'Armagnac, plusieurs places furent prises : la ville de Bourg-sur-Gironde fut assiégée ; cependant les troupes confédérées de Bordeaux et le secours d'une flotte anglaise obligèrent le comte d'Armagnac à lever le siège et à quitter la province.
Depuis cette époque jusqu'en 1451, pendant trente-six ans, la Guyenne ne vit point d'armée française dans son sein ; ses destinées et celles de la France se jouaient sur d'autres champs de bataille. Les Anglais n'y eurent même que de faibles garnisons ; ils comptaient sur les communes pour la défense du pays. Les seules hostilités dont la province fut passagèrement le théâtre se bornèrent à des rencontres de partisans sans importance, à des attaques de châteaux faites par les troupes communales.
Lorsque enfin l'armée française, en 1451, prenant une sérieuse offensive, commença la campagne de Guyenne, les châteaux forts ouvrirent leurs portes sans combattre ; les villes résistèrent davantage en stipulant toujours dans leurs capitulations la conservation de leurs franchises. Les Anglais, retirant à la hâte leurs garnisons, se concentrèrent dans les murs de Bordeaux ou aux environs. Castillon, Saint-Émilion, Libourne, Rions furent emportés, et le sire d'Orval s'avança avec une troupe de cavalerie à pou de distance de Bordeaux.
A son approche, les Anglais et les bourgeois, au nombre de dix à douze mille, sortirent des murailles, le maire à leur tête ; mais le sire d'Orval les ayant chargés rudement sur plusieurs points, les mit en déroute, couvrit la campagne de leurs morts et de leurs blessés, et conduisit à Bazas un grand nombre de prisonniers. L'été suivant, les comtes de Dunois, de Penthièvre, de Foix et d'Armagnac pénétrèrent en Guyenne par quatre côtés différents. Blaye se rendit. Les Anglais, à qui il ne restait plus dans toute la province que les places de Fronsac, Bayonne et Bordeaux, obtinrent un peu de répit en s'engageant à remettre ces trois villes aux Français si, à l'époque de la Saint-Jean, il n'était pas arrivé des troupes suffisantes pour tenir la campagne. Les renforts attendus ayant manqué, les garnisons de Fronsac et de Bordeaux mirent bas les armes. La capitulation passée entre les bourgeois de Bordeaux et le comte .de Dunois portait :
1° Que la ville serait à jamais exempte de tailles, subsides et d'emprunts forcés ;
2° Que le parlement y serait établi pour toute la Guyenne ;
3° Que le roi y ferait battre monnaie.
Mais, en 1452, à la première nouvelle d'un débarquement en Médoc de quelques troupes commandées par Talbot, Bordeaux, sans calculer les chances de succès, arbora les couleurs anglaises, et la garnison française, prise au dépourvu, abandonna la ville ; les autres places suivirent l'exemple de la capitale. Charles VII, obligé de conquérir une seconde fois sa province, envoya ses généraux assiéger le fort de Castillon. Talbot et son fils volèrent au secours de la place ; l'action s'engagea sous ses murs ; tous deux y périrent avec un grand nombre de chevaliers de Guyenne et d'Angleterre. Après cette victoire, Charles ne rencontra presque plus de résistance. La garnison de Bordeaux demanda à capituler, et, malgré l'opposition des bourgeois, elle ouvrit ses portes au roi de France.
La ville perdit ses privilèges ; elle fut imposée à cent mille écus d'or, et vingt seigneurs de la province furent condamnés à l'exil. Quant aux Anglais, il leur fut permis de se rembarquer et d'emmener avec eux tous les citoyens à qui il plairait d'émigrer. Charles VII plaça de fortes garnisons dans toutes les villes de la Guyenne, et, pour tenir Bordeaux en respect, il fit bâtir deux citadelles appelées l'une le Château-Trompette, et l'autre le fort du Hâ.