Extrait de Les bouddhas naissent dans le feu, Paris, Editions du Seuil, 2007, pp. 201-206.
Voilà, vous avez décidé de sauter le pas. Vous voulez faire de la méditation zen! La méditation consiste-t-elle à faire ou à ne pas faire ? Difficile à dire! En tout cas, il faut bien commencer par quelque part, comme de venir dans un groupe ou dans un centre. Mais tout d’abord, réfléchissez. La méditation zen est un bouleversement. Avez-vous envie d’être bouleversé ? Cette toute première fois, serez-vous à la hauteur de votre hardiesse ? Évidemment, pour cette première, n’arrivez pas en retard ou en courant. Préférez un pantalon large qui ne vous serre pas à la taille. Soyez propre, mais évitez les parfums. Enlevez vos bijoux. Soyez naturel.
À l'entrée, laissez vos chaussures. Il ne s’agit pas simplement de se déchausser, mais de réapprendre la délicatesse dans les gestes les plus simples. Posez doucement vos chaussures, la gauche est à gauche de la droite, la droite est à droite de la gauche. Enlevez également vos chaussettes. Avec vos chaussures, laissez aussi vos idées sur le zen, vos lectures, toutes ces pages que vous tourniez encore et encore dans votre tête il y a peu, tous vos jugements sur ce qu’est le bouddhisme ou non, toutes vos attentes, même les plus belles. Oui, laissez-les à la porte d’entrée. Glissez-les une à une dans vos chaussures. Non qu’il faille négliger les idées, les pensées, bien au contraire, mais déposez-les simplement avec soin à la porte d’entrée. Vous les reprendrez tout à l’heure. C’est la bonne manière de commencer. L’esprit frais.
Alors vous pouvez entrer. Dans l’espace qui vous est proposé, vous verrez qu’il n’y a (presque) rien. Ne soyez pas désarçonné. Nous enlevons les images pour tenter de toucher la réalité nue de l’expérience. Pouvez-vous réellement vous rencontrer vous-même ? Directement, sans l’intermédiaire de quoi que ce soit.
Un espace vous est offert. Une fois passé la porte d’entrée, vous vous inclinez les mains jointes dans un geste de gratitude. Vous prenez un coussin rond pour vous asseoir dessus. Tâtez-le soigneusement : est-il suffisamment épais, suffisamment large ? Vous devez apprendre à jauger les coussins, trouver celui qui sera adapté à votre propre morphologie.
Et puis, vous vous asseyez face au mur. La méditation est une expérience totale. Elle met en jeu tout à la fois le corps, la respiration et le mental. Fondamentalement, il n’y a que trois points à retenir dans l’apprentissage de la méditation : vous devez être stable, vous devez être tonique, vous devez vous sentir à l’aise.
La stabilité est assurée par le trépied formé des jambes croisées et des fesses surélevées par le coussin. Prenez la position du lotus, du demi-lotus, ou à défaut placez simplement un pied sur le mollet opposé. Les deux genoux doivent toucher le sol avec une égale pression.
La tonicité se trouve en redressant la colonne vertébrale. Ne vous asseyez pas sur le haut mais sur le bas des fesses. À partir du trépied que forment les jambes et les fesses, redressez doucement la colonne, puis la tête, rentrez délicatement le menton et abaissez le regard devant vous sans fixer un point particulier. Si vous n’arrivez pas à croiser les jambes, vous pouvez également vous asseoir à genoux sur un coussin ou sur un banc ou même encore sur une chaise. La rectitude de la colonne est l’axe de la méditation. Elle donne sa force à la posture. Sentez comme votre corps est solidement ancré dans le sol et qu’en même temps, il se déploie avec souplesse dans l’espace. Le tonus signifie qu’il n’y a ni tension excessive, ni relâchement. Ne vous asseyez pas en tailleur. Cette position ne permet pas de maintenir longtemps la stabilité et le tonus.
Placez votre main gauche sur votre main droite, les pouces se joignant à l’horizontale. Les mains sont posées sur les pieds et contre le corps. Pensez à décoller légèrement les bras du buste.
Vous fermez la bouche et respirez par le nez. Le souffle est tranquille. Il n’a pas besoin d’être modifié. En redressant le buste, la cage thoracique n’est plus comprimée, et vous pouvez respirer librement, doucement, sans contrainte. Pensez seulement à ne pas faire de bruit avec votre respiration.
Et l’esprit ? Il existe différentes techniques et méthodes de méditation zen. Vous les apprendrez plus tard. Ne soyez pas pressé. Pour l’instant, contentez-vous simplement de voir et d’écouter. Il n’y a plus de bruit à l’extérieur mais, en vous, qu’est-ce qui apparaît ? Le silence ou bien le bruissement de l’esprit ? Essayez simplement de développer un regard panoramique, accueillez tout ce qui surgit : les pensées, les sensations ou les émotions. Ne les refusez pas. Ne les poursuivez pas. En étant fixé, ancré dans cette expérience vivante du corps.
C’est tout ? Oui. Cela semble trop simple ? Après, chacun s’aperçoit rapidement combien le corps, la respiration ou le mental peuvent être sources de confusion, de difficultés en tout genre. On n’arrive pas à croiser les jambes, on a mal, on se sent tordu, la respiration est difficile, saccadée, hachée. L’esprit va dans tous les sens, divague ou encore s’endort. Ce n’est pas comme dans les livres! Effectivement. Mais il faut bien partir de quelque part, de ce corps, de votre corps parfois ferme, parfois chancelant ; du mental, de votre mental parfois aiguisé, parfois embrumé. Toute l’habileté va consister à métamorphoser tous les obstacles intérieurs, que votre corps, votre respiration et votre mental deviennent le creuset de l’éveil. Bien sûr, il vous faudra une aide, pour vous orienter, pour vous guider. Un apprentissage sera nécessaire. Si vous ne vous souciez pas de l’extravagance de la méditation, en bref si vous y revenez, n’hésitez pas à demander conseil : pas de vagues recommandations mais de véritables conseils pour vous inspirer, pour pénétrer profondément cet espace intérieur. Pour toucher votre propre cœur.
Il vous faut au début ressentir la stabilité intérieure, la tonicité, jusqu’à ce que vous vous sentiez à l’aise. Être à l’aise possède bien sûr une dimension physique : le corps vit totalement la méditation sans obstacle ; mais être à l’aise recèle également une dimension psychologique : c’est la confiance. Soyez confiant en vous-même.
Au fur et à mesure des méditations, les perturbations vont se calmer. Vous allez vous sentir tranquille, apaisé. Mais ce n’est pas là la fin de la méditation, ce n’est au contraire que la toute première étape. La porte d’entrée. À partir de ce calme, il vous faudra ensuite aller plus loin, faire un saut dans l’inconnu. Il existe différentes techniques pour calmer l’esprit, mais pour faire ce saut-là, vous verrez qu’il n’existe fondamentalement aucune méthode.
Trois coups de cloche marquent le début de la méditation, deux la fin. Il n’y a rien entre ces deux moments, pas un bruit, personne pour vous observer, personne pour vous parler. Telle est la manière traditionnelle du zen : seulement vous avec vous-même. Et quelque part l’inconnu.
Avant de vous installer dans l’assise droite, exercez-vous à la méthode traditionnelle d’expulser l’air des poumons : vous posez les mains sur les genoux puis, trois ou quatre fois, sans bruit, vous expirer longuement la bouche entr’ouverte et vous inspirez par le nez. Ensuite, vous vous balancez de gauche et de droite, sept ou huit fois, dans des mouvements de moins en moins amples jusqu’à trouver la rectitude du corps. Vous joignez les mains et vous vous inclinez. À la fin de la méditation, avant de vous relever, procédez de même, mais en sens inverse. Vous inclinez les mains jointes, vous vous balancez de droite et de gauche dans des mouvements de plus en plus larges, puis vous expulsez l’air, la bouche entr’ouverte, tout en inspirant par le nez. Prenez le temps de ces temps de transition. Ne vous levez pas d’un coup. Vivez le corps dans la lenteur.
Après la méditation assise, vient le temps de la méditation marchée. Prenez une attitude digne, toujours stable, tonique, à l’aise. Le corps est redressé, la tête également, le regard abaissé devant soi. Le poing gauche enserre le pouce gauche, la main droite enserre le poing gauche, le pouce droit appuie à la racine du pouce gauche, et les mains sont posées délicatement contre le sternum, les avant-bras à l’horizontale. Et vous marchez au rythme de la respiration : vous avancez d’abord le pied droit et, pendant toute l’expiration, vous déportez le poids du corps sur la jambe avant, la jambe arrière restant détendue mais sans que le talon décolle du sol. À l’inspiration, le pied arrière passe devant et l’on recommence le processus en portant le poids du corps sur cette jambe avant. Le pas s’harmonise avec le souffle et l’on se contente de faire un pas l’un après l’autre.
A la fin, le responsable de la méditation récite la dédicace : "Que ces vertus qui se répandent en tous lieux tarissent la source des souffrances et nous permettent avec tous les êtres de réaliser la voie de l'éveil." Quiconque découvre l'inconnu, redécouvre l'autre.
Plus d’une heure s’est passée. Vous sortez. Vos chaussures n’ont pas bougé de place. Aucun mauvais génie ne les a emportées. Et vous, avez-vous changé ?