Voilà aussi pourquoi, certainement, à part Bagg-le-Lézard et, Djanne-le-Serpent, il aimait à lier conversation avec n'importe qui ; avec tous ceux qu'il rencontrait ou qu'il rattrapait sur le chemin du marigot ; et il y rencontrait et y croisait beaucoup de monde. Tout ce qui vole, rampe ou marche se rendait en effet au marigot, plus ou moins tôt dans la journée, plus ou moins tard dans la nuit. De ceux qu'il y trouvait ou qu'il croisait sur son chemin, il en était de polis et d'aimables, de bourrus et de grognons ; M'Bott-le-Crapaud saluait chacun et conversait avec certains. C'est ainsi qu'un jour, en le quittant, Yambe-l'Abeille lui dit :
- M'Bott, viens donc un jour jusqu'à la maison partager mon repas.
M'Bott ne se fit pas répéter deux fois l'invitation, car il avait entendu dire que Yambe-l'Abeille savait préparer un mets qu'aucun être au monde ne savait faire.
- Demain si tu veux, si cela ne te gêne pas, accepta-t-il.
- Entendu, à demain !
Le lendemain donc, M'Bott-le-Crapaud, revenant du marigot, ne se dirigea pas vers le vieux canari que ses parents lui avait cédé et qui lui servait de demeure. Il s'en alla, sautillant, plein de joie et d'appétit, vers la maison de Yambe-l'Abeille.
- Yambe, sa Yaram Djam ? (Abeille es-tu en paix ?) salua-t-il.
- Djama ma rek (En paix seulement) lui fut-il
répondu.
- Me voici ! se présenta poliment M'Bott.
- Approche, invita Yambe-l'Abeille.
M'Bott-le-Crapaud s'approcha de la calebasse pleine de miel, sur le rebord de laquelle il appuya l'index de la main gauche, comme doit le faire tout enfant bien élevé. Il avança la main droite vers le repas qui paraissait si bon, mais Yarobe-l'Abeille l'arrêta :
- Oh ! mais mon ami, tu ne peux vraiment pas manger avec une main aussi sale ' Va donc te la laver !
M'Bott-le-Crapaud s'en fat allègrement vers le marigot, top-clop ! top-clop ! puis revint aussi allègrement, clop-top ! top-clop ! et s'assit près de la calebasse. Yambe-l'Abeille, qui avait, sans l'attendre, commencé à manger, lui dit encore, quand il voulut puiser dans la calebasse :
- Mais elle est encore plus sale que tout à l'heure, ta main !
M'Bott-le-Crapaud s'en retourna sur le sentier du marigot, un peu moins allègrement, clop-top ! top-clop ! puis revint chez Yambe-l'Abeiile, qui lui refit la même réflexion.
II repartit au marigot d'une allure beaucoup moins vite, clop-top !... top !... clop-top ! Quand il revint de son septième voyage aller et retour, les mains toujours aussi crottées par la boue du sentier et suant au chaud soleil, la calebasse était vide et récurée. M'Bott-le-Crapaud comprit enfin que Yambe-l'Abeille s'était moquée de lui. Il n'en prit pas moins poliment congé de son hôte :
- Passe la journée en paix, Yambe, fit-il, en regagnant l'ombre de son vieux canari.
Des jours passèrent. M'Bott-le-Crapaud, aux leçons des grands et des vieux, avait appris beaucoup de choses; et, sur le sentier du marigot, il saluait toujours chacun et conversait toujours avec certains, dont Yambe-l'Abeille, à qui il dit enfin un jour :
- Yambe, viens donc un jour jusqu'à la maison, nous mangerons ensemble.
Yambe-l'Abeille accepta l'invitation. Le surlendemain, elle s'en alla vers la demeure de M'Bott-le-Crapaud, gentil et vraiment sans rancune, se disait-elle. Sur le seuil elle se posa et salua :
- M'Bott, as-tu la paix ?
- La paix seulement ' répondit M'Bott-le-Crapaud, qui était accroupi devant une calebasse pleine de bonnes choses. Entre donc, mon amie !
Yambe-l'Abeille entra, remplissant l'air du bourdonnement de ses ailes, vrrou ! vrrou ! ou !...
- Ah ! non ! Ah ! non ! fit M'Bott-le-Crapaud, Yambe mon amie, je ne peux pas manger en musique, laisse, je t'en supplie, ton tam-tam dehors.
Yambe-l'Abeille sortit, puis rentra, faisant encore plus de bruit, vrrou '... vrrou !,.. vrrou… ! vrrrou…!
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Bisous et bonne journée