En consommer trop augmente la pression artérielle. Mais le risque réel reste difficile à chiffrer, tant les variables sont nombreuses.
Chaque année, les maladies cardiovasculaires dues à l'excès de sel tueraient plus d'un million et demi de personnes dans le monde. Tel est le chiffre, vertigineux, avancé par des chercheurs dans une étude publiée dans le New England Journal of Medicine (NJEM).
Dans un travail «herculéen», dixit l'éditorial signé dans la même revue par le Pr Suzanne Oparil, «papesse» américaine de l'hypertension, les chercheurs ont tenté de répondre à trois questions: quelle est la consommation réelle de sodium dans le monde? Diminuer cette consommation permettrait-il de baisser le risque d'hypertension? Enfin, quel effet la baisse de la pression artérielle a-t-elle sur la mortalité?
Le sel est de longue date accusé d'être un redoutable tueur tapi dans nos assiettes. L'Organisation mondiale de la santé recommande un apport quotidien de 2 grammes de sodium, soit un peu plus de 5 grammes de sel de table. Mais l'usage irraisonné de la salière ne compte que pour à peine 10 % de nos apports ; car si le froid a remplacé le sel dans la conservation des aliments, en revanche pain, fromages, charcuteries, fast-food et plats
industriels regorgent de sel.
Presque deux fois trop de sodium consommés
Les auteurs ont donc voulu estimer la quantité réelle ingérée par la population. L'examen de plus de 205 études a montré que les adultes consommaient en moyenne 3,95 grammes de sodium par jour, 99,2 % de la population mondiale se situant au-dessus des recommandations de l'OMS. Par ailleurs, d'après deux méta-analyses menées sur des études d'intervention, ils ont calculé que la réduction de l'apport en sodium était bel et bien associée à une baisse de la pression artérielle. Conclusion des auteurs: réduire la consommation de sel permettrait d'éviter chaque année 1,65 million de morts cardiovasculaires, dont plus de 40 % chez des moins de 70 ans.
«C'est une estimation à la louche, estime le Pr Jacques Blacher, cardiologue et épidémiologiste à l'Hôtel-Dieu (Paris). Les auteurs ont fait un énorme travail, et le chiffre qu'ils avancent est sans doute le plus proche de la réalité parmi toutes les études consacrées à la question. Mais il est très compliqué de chiffrer précisément le nombre de morts dues à l'excès de sel.» Car les effets de la consommation de sel sur la pression artérielle, et de cette dernière sur la mortalité, ne sont pas les mêmes selon que l'on est un homme ou une femme, selon notre âge, la couleur de notre peau (les Noirs seraient plus sensibles, sans doute pour des raisons hormonales), etc. Le poids compte aussi, au point, précise Jacques Blacher, que «certains considèrent que l'on ne devrait parler de la consommation de sel que rapportée à la consommation calorique globale».
Le rôle protecteur du potassium
Autre facteur confondant, évoqué par une autre étude publiée dans la même revue: la quantité de potassium consommée. La pression artérielle d'un gros mangeur de fruits et légumes, lesquels contiennent une forte quantité de potassium, est en effet moins sensible à l'excès de sodium que celle de son voisin qui avalerait autant de sel, mais sur des chips.
La question du «trop peu» fait également débat. Des chercheurs ont observé que les très petits consommateurs de sel voyaient, eux aussi, leur risque cardiovasculaire augmenter. «Mais un Français en bonne santé qui mange de manière normale n'a aucun risque de manquer de sel», précise le Pr Raymond Ardaillou, néphrologue et auteur en 2005 d'un rapport sur le sujet à l'Académie de médecine.
Même les singes y prennent goût
En revanche, le sel devient vite une mauvaise habitude. Le Pr Ardaillou se souvient ainsi d'une étude qu'il avait menée dans les années 1990 auprès de chimpanzés. Les chercheurs avaient ajouté du sel à l'alimentation des singes, qui en est normalement dépourvue ; 18 mois de ce régime avaient fait grimper leur pression artérielle, revenue à la normale à l'arrêt de l'expérience ; mais les singes s'étaient habitués au sel et protestaient quand on leur proposait des repas non salés! C'est notamment pourquoi il faut éviter de saler les plats des enfants, même lorsque (après 3 ans) leurs reins ont acquis une maturité suffisante pour éliminer le sodium consommé à outrance.
«Il est certain que l'excès de sodium augmente la mortalité, et il faut continuer à faire pression sur les industriels pour qu'ils cessent de nous imposer une telle surconsommation. Mais il n'est pas sûr qu'une baisse généralisée de la consommation permettrait d'éviter autant de morts que le dit l'étude du NJEM», précise cependant Jacques Blacher. Le cardiologue appelle donc de ses vœux «une expérimentation grandeur nature, pour savoir si réduire le sel dans l'alimentation permettrait réellement de réduire la mortalité, et chez qui. On a désormais besoin d'une certitude, pour voir si le sel n'est pas, finalement, l'arbre qui cache la forêt.»
Lu sur sante.lefigaro.fr