Dr Jean-Michel Lecerf, chef du service de nutrition de l’institut Pasteur de Lille, rappelle que manger est un acte complexe et critique l’étiquetage de la valeur nutritionnelle des produits.
Quelle attitude adopter face à la cacophonie des messages nutritionnels ?
Jean-Michel Lecerf : D’abord, aucun aliment ne doit être considéré comme indispensable. Il n’y a pas d’aliment magique qui contiendrait tout ce dont notre organisme a besoin. Il faut revenir à deux principes essentiels : la diversité et la modération. En pratique, cela revient à varier son alimentation.
Il faut aussi diversifier, c’est-à-dire alterner les aliments d’une même famille et surtout en varier les préparations. Par exemple penser au court-bouillon ou à la cuisson à l’étouffée. Et faire preuve de modération, en particulier envers les aliments gras, salés et sucrés. Ces bonnes habitudes ne dispensent pas d’une activité physique régulière.
En quoi le plaisir est-il garant d’une alimentation équilibrée ?
Jean-Michel Lecerf : Manger est un acte complexe lié aux besoins de l’organisme mais aussi aux habitudes familiales et culturelles. L’appétit est donc spontané mais aussi sous influence. Des signaux biologiques contrôlent la prise de nourriture, comme les hormones leptine et ghréline qui sont également impliquées dans l’augmentation ou la diminution du plaisir de manger en fonction des besoins énergétiques. Il faut donc rester à l’écoute de ses sensations.
Ces signaux peuvent cependant être perturbés lorsque la sensation de plaisir devient un but en soi. Mais aussi lorsqu’il y a contrôle abusif et permanent. Les régimes à répétition sont les principaux responsables de la perte de sensation alimentaire : ceux qui les suivent ne savent plus comment se nourrir.
Sommes-nous tous génétiquement égaux devant l’appétit ?
Jean-Michel Lecerf : Tout semble indiquer que nous ne sommes pas tous dotés de la même capacité à réguler notre appétit. Des travaux, qui n’en sont encore qu’à leurs débuts, devront expliquer comment plusieurs facteurs (leptine, ghréline, gènes Mcar et fto) influent sur la régulation du comportement alimentaire.
Le projet d’étiquetage "vert, orange, rouge" indiquant la qualité nutritionnelle des produits est-il une bonne piste ?
Jean-Michel Lecerf : Ce projet risque de ne pas apporter les bénéfices nutritionnels escomptés et de se révéler plus stigmatisant pour les consommateurs que pour les industriels ! Ces derniers n’hésiteront pas à casser les prix pour vendre des produits estampillés rouges, donc "mauvais" pour la santé. Résultat : seules les personnes aisées s’en détourneront, contrairement aux foyers modestes, déjà les plus exposés au surpoids et à l’obésité, qui continueront à en acheter tout en le taisant, par honte. Car la moralisation de l’alimentation peut facilement dériver vers la culpabilisation. C’est l’inverse de ce que l’on veut obtenir !
De plus, la question de la pertinence nutritionnelle de ce projet se pose. Ainsi, ce n’est pas parce qu’un aliment est calorique qu’il doit être exclu de l’alimentation. Exemple avec le sucre : miel, fruits secs et soda en fournissent en grande quantité, mais on ne peut pas mettre tous les aliments sur le même plan. Il semblerait plus judicieux de donner des repères de fréquence de consommation conseillée. Et se pencher davantage sur les déterminants socioculturels, économiques et comportementaux qui poussent à les consommer.
Lu sur sciencesetavenir.fr