Pourquoi est ce que je veux maigrir ? Je crois qu'on ferai toutes bien de se la poser, cette question, même si elle peut sembler stupide pour les filles obèses ou en surpoids sérieux, comme moi, même si la réponse peut paraître évidente. Pour moi elle ne l'est pas, elle ne l'a jamais été. J'ai toujours été grosse, d'aussi loin que je me souvienne : à la maternelle je me disais que je n'aurai pas « d'amoureux », à l'école primaire je me prenais déjà ces petites remarques blessantes. On apprend à se caparaçonner, on fait avec, et mine de rien, on se construit en fonction de ça. Je SUIS grosse, ce n'est pas une affirmation temporaire, ce n'est pas moi maintenant avec mes kilos, c'est moi tout court et depuis toujours. A partir de là, s'imaginer autrement suffit à faire réfléchir.

Bien entendu, cet état m'a presque depuis toujours poussé à me rêver autrement. Je n'en ai jamais été satisfaite, je ne me suis jamais sentie bien dans mon corps, juste, de temps en temps, « mieux ». Je me suis souvent surprise à m'imaginer ce qu'aurait été et ce que serait ma vie si j'étais plus mince.

Si j'étais « normale », comme tout le monde, comme il faut être, même pas forcément une bombe, juste une fille dans la norme, fondue dans la masse. Une fille que l'on aborderait sans a priori, et qui irait vers les autres sans crainte. Une fille dont l'esprit ne serait pas constamment miné par cette espèce d'arrière pensée, qui est un peu tout le temps là, consciemment ou pas : je suis grosse, que pense t-on de moi, de quoi est-ce que j'ai l'air ? Ne me montrez pas de photos de moi.. Aimez moi! Je serai toujours une dingue de fringue, mais qui ne classerait pas systématiquement les vêtements en deux catégories : ceux où il y aurait peut être une chance de rentrer dedans / ces choses magnifiquement classes mais malheureusement à jamais hors de portée. Une fille qui pourrait faire du sport, qui serait douée pour ça, que l'on admirerait, pas seulement pour ses performances scolaires. Une fille sympa, peut être ? Sans complexe, en tout cas.

Cela fait envie, cela ferait un sacré changement, n'est-ce pas ? Eh bien oui, sauf que ça fait très peur. Je crois que je n'ai pas maigris parce que je ne m'en suis jamais donné les moyens, et que je ne me suis jamais donné les moyens parce que j'avais peur. Morte de trouille de changer, de réaliser cet espèce de fantasme hypothétique, qui semblait tellement inaccessible!

Sauf que maintenant je n'ai plus peur. Je n'ai plus envie d'avoir peur, plus envie de rêver ma vie en attendant que par un coup de baguette magique tout devienne enchanté et merveilleux! J'ai déjà eu une chance extraordinaire de rencontrer un homme qui m'aime et que j'aime, qui m'a courtisée en y croyant pour deux. Heureusement parce que moi, je ne croyais pas en moi. « Quand il me verra, il tombera des nues et il partira en courant, c'est sûr! ».

« Tu es encore plus belle en vrai... ».

Il y a des phrases comme ça, qui au delà de la banalité des mots, sont tellement sincères qu'elles peuvent tout changer.

Je suis belle, alors, c'est vrai? C'est possible?

Ca n'a pas suffit à tout transformer d'un coup... Se sentir aimée, après tout n'est pas vraiment la meilleure motivation pour changer! Mais ça a semé des graines... De bonheur, de bien-être, de confiance.

J'aurai bientôt 20 ans. J'ai passé toute mon adolescence à attendre que ma jeunesse commence, à espérer être la fille dont j'ai toujours rêvé. Bien sûr, j'arrive à être heureuse malgré tout. Mais j'ai perdu du temps et j'ai souffert, plus qu'aucun de ceux qui ont avivé ou tout simplement choisi d'ignorer cette douleur latente mais bien réelle ne pourront jamais s'imaginer.

Je n'ai pas envie d'attendre, pas envie de continuer ce gâchis, plus envie d'être cette fille lâche.

Je veux être différente, mais différente à ma façon, comme cela me convient et me plait, et comme j'ai choisi de me construire. Je ne veux plus subir la différence.

Je veux être une femme courageuse.

Et ça n'a rien à voir avec le fait de manger de devoir manger des carottes.