J'ai bien souffert de la chaleur, cette année, comme vous toutes probablement.

Là, depuis dimanche, nous avons eu des orages et ce matin, de la pluie et ma foi, je supporte un gilet sur mon tee-shirt. Le soleil est revenu cet après-midi, mais je n'arrivais même pas à me plaindre de la pluie, pour une fois.

Je ne suis pas bien dans mes baskets, ces temps-ci, surtout depuis lundi dernier où, je me suis disputée avec une amie d'enfance. Nous nous sommes dit des choses assez dures. Je pense qu'elle avait trop bu. Malgré ça, je n'arrive pas à la pardonner car elle m'a blessée. J'ai beau me repasser la discussion en boucle, je n'arrive pas à croire qu'elle ait pu me dire ces atrocités, surtout avec cette colère et ce mépris. Comme vous le savez, je suis d'origine espagnole, mais née en France (elle-aussi d'ailleurs, mais la famille de son père est arrivée en 1929, pour raison économique. Sa mère est d'origine américaine. Mon père est venu en février 1939, au moment de La Retirada avec environ 500 000 autres réfugiés politique, la la suite de la guerre civile). Elle a commencé par me reprocher de prendre des cours d'espagnol. Il paraît que je trahis la mère patrie, la France en essayant de connaître la langue de mes parents qui me permet de communiquer avec mes cousins ! Expliquez-moi en quoi, je ne me montre pas reconnaissante ? En quoi, je fais du mal à quelqu'un, en quoi je la dérange ? Elle ne comprend pas que je sois attachée au village de mes parents, là-bas, près d'Alicante. C'est là que mes parents ont vécu, ainsi que mes grands-parents que je n'ai pas eu la chance de connaître. Elle m'a dit que je n'avais qu'à repartir en Espagne puisque je l'aimais tant. Encore une fois, en quoi, je trahis la France ? N'est-ce pas normal d'aimer aussi le village où j'ai passé de très bonnes vacances quand j'étais adolescente, quand mes parents ont pu y retourner. J'y ai encore des cousins et des amis. Elle m'a dit que mon père aurait dû être reconnaissant d'avoir été accueilli par la France. Il était très reconnaissant et n'a jamais reproché à la France de l'avoir interné dans un camp de concentration sur la plage d Argelès, entouré de barbelés avec des gardes armés. Il ne m'a même pas dit qu'ils n'avaient pas d'abris sur cette plage, en cet hiver 39, seulement le sable où ils avaient creusé des trous pour s'abriter un peu du vent glacial, pas de W.C., pas de douches, seulement la mer et de l'eau saumâtre pour boire. Tous les matins, un camion ramassait les cadavres de ceux qui avaient succombé de dyssenterie ou autres. Jamais il n'a eu de revendications. Il m'a toujours inculqué la reconnaissance. Elle m'a soutenu que ce n'était pas des camps de concentration ! Ah bon ? Sans doute des campings de plaisance, peut-être !

Elle a ajouté :

"Et puis, ton père était un révolutionnaire, il fallait bien le mettre là-dedans !"

Il a juste défendu la jeune République après le coup d'état militaire de FRANCO. Comme c'est une ignorante, elle ne sait rien de ce qui s'est passé. Elle ignorait même que son père était venu pour raison économique.

Elle m'a dit également que si les conditions d'accueil ne lui avaient pas plu, pourquoi n'était-il pas reparti en Espagne ? ... Et puis, ils l'avaient bien laissé sortir du camp. C'est vrai. Il a même eu le choix : pour être libéré, il devait soit repartir en Espagne où il savait qu'il serait fusillé ou se battre pour la France contre les nazis. Il a opté pour la seconde solution et a été se battre du côté de Grenoble. Elle a paru être surprise. 

On se connaît depuis plus de 55 ans, avons partagé des joies, des peines et c'est maintenant que nous avons cette discussion ! La même avec une inconnue m'énerverait sans doute, mais avec une amie d'enfance, ca m'a blessée. Ca fait une semaine que j'ai mal à la tête, que j'ai envie de pleurer. Elle a bien connu mon père. Elle sait que c'était un homme bon et généreux, pas un révolutionnaire sanguinaire !! Depuis, elle fait comme si de rien n'était, m'envoie des textos amicaux. De mon côté, c'est cassé. Je ne sais pas ce que vous en pensez. J'avais besoin de vous en parler. Désolée, si je vous ai bassiné avec cette histoire.

Prenez soin de vous. Vous êtes importantes à mes yeux.