Tout commence en 1939. Papa, menuisier-charpentier-ébéniste, maman, mère au foyer et ancienne couturière. Ma grand'mère paternelle vit avec eux. Jeune couple déjà meurtri par la perte du deuxième de leurs trois enfants : une petite fille de 13 mois, emportée par une épidémie de diphtérie contre laquelle n'existe encore aucun médicament.

Restent donc l'aîné, un garçon espiègle et une autre petite fille, très éveillée, allant sur ses deux ans.

L'ordre de mobilisation arrive et Papa doit partir. Vers la fin de l'année, ma petite soeur contracte elle aussi une maladie infantile mortelle, la broncho-pneumonie. Papa, alors malade, revient à la maison en convalescence. Leur deuxième petite fille fête ses deux ans sur son lit de mort au début de l'année suivante. Papa repart le lendemain des obsèques et ne reviendra que cinq ans plus tard.

Mais, nidée dans le sein de sa maman, une petite graine vit tous ses tourments, ses angoisses, sa révolte, sa détresse, son immense chagrin. Tous les soirs, il faut sortir maman du cimetière, elle frise la folie.

La petite graine s'accroche, s'accroche et résiste.. Soudain, maman se rend compte de ce qui se passe en elle et consulte le médecin de famille. Ce dernier est affolé par cette situation mais pense que cela peut peut-être lui redonner le goût de vivre.

Ce qui est une erreur.. Maman vit sa grossesse de façon désintéressée : ce ne sera pas ma petite Marie-Paule, dit-elle souvent. Papa, fait prisonnier, est bien sûr très inquiet.

Au terme des neuf mois arrive une autre petite fille (moi !) qui reçoit le prénom de GerMaine, en hommage à son grand'père Germain mort pendant la Grande Guerre. Maman me nourrit au sein de manière machinale et s'enferme encore et toujours dans son chagrin. Grand'Mère Zize est là et me témoigne tout l'amour que ma pauvre maman ne peut me donner.

Plus tard, maman me racontera que j'avais neuf mois lorsqu'elle m'a adressé son premier sourire. Et Grand'Mère Zize de dire, « enfin » !!

Je grandis, entourée de femmes. La photo de papa soldat, en buste, trône sur la cheminée de la cuisine, à côté de la photo de mes deux petites soeurs. Maman, si jolie, toujours en vêtements de deuil.

Huit ans me séparent de mon frère aîné qui m'entoure de son affectueuse protection.

Beaucoup de réfugiés pendant cette guerre qui n'en finit pas. Une explosion pas très loin de chez nous, et de nouveau la peur de maman et de ma grand'mère : avec une amie de maman, je devais aller dans ce quartier et au dernier moment nous sommes allées à l'opposé de l'explosion !!

Par une nuit de printemps, Papa revient. Je me rappelle très bien cette nuit là lorsqu'il est venu me voir alors que je dormais.

Cet intrus, avait des jambes alors que mon papa sur la photo n'en avait pas. Il était l'objet de toute l'attention de ma mère et de ma grand'mère et moi, je n'existais plus. Alors, je ne voulais pas aller sur ses genoux et faisais la comédie, ce qui ne me ressemblait pas du tout. En résumé, j'étais jalouse de lui.

La vie a repris ses droits. Papa a dû se refaire une clientèle. Maman, de nouveau enceinte a mis au monde une nouvelle petite fille, puis encore une autre, et pour terminer un autre petit garçon.

C'était la période des grandes familles.

Je pense ne pas avoir été une mauvaise grande soeur. J'avais six ans lorsque ma première petite soeur est née et celle-là, elle était ma poupée vivante et j'ai un lien affectif tout particulier avec elle encore maintenant.

Mon autre soeur et petit frère, adorables tous les deux, ont développé en moi le sens des responsabilités. Notre enfance s'est déroulée harmonieusement avec beaucoup d'affection. Ma grand'mère avait une préférence pour moi, ce qui se conçoit aisément et je la lui rendais bien.

De cette expérience un peu triste mais qui finit bien quand même, je reconnais avoir toujours essayé « d'exister ».

J'ai pu avoir une relation intime avec maman lorsque Papa est décédé. Lui, est parti, me laissant le regret d'avoir manqué beaucoup de choses avec lui. Beaucoup de distance entre nous, de la réserve, de la timidité. Mais je sais qu'il m'aimait beaucoup et moi aussi.

Aujourd'hui, les acteurs de cette histoire ne sont plus là, même mon frère aîné nous a quittés. Je suis donc maintenant l'aînée de la fratrie. J'en suis un peu la mémoire et le fait de nous retrouver seuls tous les quatre nous a beaucoup rapprochés.

….....

De cette petite fille, dont la vie a commencé de bien triste façon ,est née une femme avec beaucoup de défauts, mais aussi quelques qualités : la diplomatie de la Balance, et, entr'autres, le don de voir le côté positif dans ce qui est négatif.

Merci d'avoir eu la patience de me lire jusqu'au bout ...