Cet après-midi, Mireille et moi avions programmé d’aller cueillir des mûres avec sa maman qui est en fauteuil roulant. C’était une bonne occasion pour la sortir du centre Alzheimer et lui faire prendre un bon bol d’air dans la campagne environnante.

            Il faisait beau ce matin jusqu'au moment où alors que nous déjeunions la pluie est arrivée bien drue annulant à notre grand regret notre balade en plein air.

            J’angoissais à l’idée de revoir la maman de Mireille que j’avais connue dynamique et que j’allais retrouver en fauteuil roulant, l'esprit ailleurs. Mon amie m’avait donné quelques conseils et mes craintes se sont envolées quand j’ai vu Yvonne, que j’ai bien reconnue.

            Nous avons parlé avec les autres résidents leur avons offert des chocolats et des petits gâteaux,  mis nos fleurs dans les vases, puis on a emmené la maman dans la bibliothèque car elle lisait beaucoup avant cette sale maladie.

            Yvonne a regardé sans intérêt les revues que nous lui présentions, mais elle voulait voir les livres rien que pour les caresser.

           Inlassablement elle prenait le bas de sa robe, passait une main dessus comme pour la repasser. Son regard qui se perdait par moment reprenait le dessus l’éclair d’un instant, nous étions heureuses qu’elle nous reconnaisse ne serait ce qu'un bref instant.

            Mireille me montra la chambre de sa maman. Yvonne a voulu sa peluche. Nous avons regardé l'album photos, puis j'ai pris en photo Mireille et sa maman.

           Comme nous devions redescendre, Mireille me demanda de remettre la peluche sur le lit car elle me dit avec toi elle voudra bien la donner. Eh bein, non !   Elle m'a dit un "pas toi" impératif ! Ce sont les deux seuls mots que j'ai compris tout le temps que nous avons "conversé" toutes les trois. 

            L’heure passant il nous fallait repartir alors nous redescendons dans le séjour où nous retrouvons les résidents. Parmi eux un homme grand se tenant bien droit nous regardait tristement.

            Mireille me dit :  « tu sais c’est lui l’ancien médecin. Il était conscient de son état il y a encore six mois.  Quelle tristesse » !

            Une dame que je pensais être une visiteuse parce que bien habillée et parlant bien me dit tout à trac : « Vous êtes une belle femme, Madame ». ? Je la remerciais. Et puis elle se met à divaguer et me dit : « moi je descends gratter puis je reviens et je casse le carreau pour passer et ils ne me disent rien ». A ce moment-là j’ai compris qui était vraiment cette femme.        L'ancien médecin s'est mis à nous applaudir alors que nous repartions le coeur léger promettant de revenir bientôt les voir.

            Revenues chez Mireille, mon amie dit à son mari : « tu sais Suzanne, la lesbienne, elle a dit à Nicole qu’elle était une belle femme ».

           ? ? ?   ! ! !

            Estomaquée par cette révélation, j'ai regardé mon amie et alors là nous voilà parties toutes les deux d’un sacré fou rire  comme on sait si bien faire … Ce fou rire d'un coup d'un seul a chassé les tensions que nous cachions en nous.

            Il n'y avait plus de tristesse mais du bonheur et surtout le sentiment d'avoir mis un peu de soleil dans ce centre qui fait peur !

          Je garderai longtemps le souvenir de mon amie si câline avec sa Maman. C'est cette image que je veux garder parce que  tendre et belle.